En pénétrant dans l’espace de la Galerie Chantal Crousel pour l’exposition Seth Price On pourrait avoir l’impression d’être en avance. La scène aurait lieu quelques jours avant l’ouverture d’un nouveau centre commercial. Les annonceurs n’auraient pas encore pris possession des surfaces d’exploitation de l’environnement visuel et cognitif destinés à leurs futurs clients. N’aurait alors à voir que du remplissage ; une dizaine de panneaux horizontaux et verticaux aux motifs répétitifs et condensés. Chacun, d’un gris similaire aux autres, tantôt tendant au brun, tantôt au bleu, s’apparente à ce qu’il y a de plus banal en terme de revêtement temporaire.

Semblable à n’importe quel films protecteurs, ces films chargés de logos répliqués à touche-touche ont une progression visuelle laborieuse tant ils manquent d’air. Mais là n’est pas la question, ils ont tout le temps pour se propager, longtemps, bien longtemps après que l’on ait oublié qu’ils existent, les signes qui les constituent continuent à gagner du terrain partout où végète l’esprit. La répétition qui s’y joue ignore les notions d’origine et de fin, il n’y a ni début, ni côté ; le seul qui ait une existence est celui marqué par le laser qui coupe aux dimensions de la surface à protéger. Ce sont des parts d’infini, des espaces creux. Ici, simplement choisis à la taille des tableaux voulue par l’artiste.

Ils côtoient de grandes planches de contreplaqué sur chacune desquelles est collée une grande enveloppe déchiquetée dont on devine la destination administrative et commerciale. Ce ne sont pas de véritables enveloppes qui ont été collées, mais des images scannées et imprimées qui ont ensuite été enduites et réimprimées sur les panneaux. Un peu comme si ces lambeaux de correspondance décachetée avaient été inclus dans le processus de fabrication de leur support – par soucis de recyclage, peut-être aussi par mégarde –, sans que celui-ci n’en oblitère la présence, mais tout en en changeant les proportions et la matière. Ce pourrait être des panneaux de chantier. Des palissades, temporaires, elles aussi, et sur lesquels notre regard vient s’agglutiner avec la même vacuité que l’on été les enveloppes. On s’y agrège, on fait corps avec le processus bureaucratique qui cloisonne et décloisonne à la mesure des messages qu’il entend faire diffuser.

Quelque part dans l’exposition, un panneau à motif, parent de tous les autres, marque une étrangeté. Sa surface porte une irrégularité, une erreur d’impression. Une faille ouvrant une petite brèche à peine plus grosse qu’un doigt.