Comme s’il n’était pas question de voir mais d’être pris dans le filet du réel, littéralement pris, pareil à un papillon de nuit dans les mailles laissées à sécher sur le rivage par les pêcheurs, Eva Nielsen et Rebecca Digne ont poussé la chasse à l’homme jusqu’à l’hallali.

Tout s’est joué en une seconde. La trame est déjà resserrée. On continue à se débattre, mais elle glisse le long de nos articulations, entre nos doigts, prise dans les plis de nos torsions, s’étrangle telle une ombre concave filtrant tout ce que nos sens parviennent encore à recueillir. Omniprésente, empêtrés et trébuchants, elle a amortit notre chute, l’adoucissant légèrement, nous convaincant de ne pas essayer de se relever.

Là, le paysage qui nous entoure reste visible, bien qu’atténué ; il y a peu, la lumière était encore entière et, ce qui, il y a un instant encore, nous semblait à portée de main n’est plus à présent qu’une image. Une image que nous sommes autorisés à mémoriser, mais qui ne sera plus jamais un paysage. Il n’y a plus de lointain, ni proximité, ni horizon : immobilisés par la peinture, nous n’appartenons plus à cet environnement. Dans Lucite II, c’est le perron de la maison toute proche qui constitue l’essentiel de ce souvenir. Dans Laminak I et II, la clairière était sur le point de prendre fin ; quelques instants de plus et l’on se serait enfoncé dans les bois épais qui lui succédaient. Là il aurait été possible de continuer à fuir, à courir.

Le bruit s’étant abattu, un demi sommeil peuplé de boîtes où luisent des bulles de savon sur un lit d’écume rubis crépite à la surface de notre rétine. De grandes pelletés éventrent l’humidité asséchant les réseaux veineux. Une fois concassée, la poudre Rouge est charriée par brouettes entières. Puis elle est transportée pour être stockée avec d’autres entrailles, elles aussi brillant par succession de petites piqures.

Dans quel but ? Trop tard pour savoir. Une fosse a été pratiquée derrière les fourrés. Suffisamment vaste pour y déverser la terre rouge sang qui n’a pas trouvée preneur.