La création artistique et plus particulièrement la peinture chez Markus Lüpertz est une véritable cosmogonie où chaque mythe a ses formes et chaque forme son exégèse. L’exposition de son travail à la Galerie Suzanne Tarasiève raconte une partie de cette Odyssée.

Le premier des astres que l’on rencontre est contenu dans un ballon de volley beige fouetté par une peinture fluide qu’anime le mouvement orbital des pinceaux de l’artiste. L’ensemble vacille, mais pourtant parvient à imposer aux observateurs son incroyable stabilité. Tout proche, trois autres tableaux aux coloris francs, sans être purs, complètent cette formation primordiale. Ce sont des compositions fortes, souvent bordées de lacunes, construites à partir de lignes nettes, strictement composées, dans lesquelles se succèdent accidents et bousculades. Tout en elles donne l’impression que la peinture fait à la fois office de contenant stable et de contenu souple et débordant.

Les premières figures de cette genèse apparaissent sous la forme de deux colosses musculeux. Ces corps de bronze, faits de rondeurs et de tendons aux carnations bariolées, patientent, à demi cachés dans un couloir derrière des stores blancs.

À leur suite, un grand nombre de tableaux montrent des personnages postés dans des paysages bucoliques. Ils sont nus, torses, bras et cuisses noueuses ; leurs postures ont une dignité presque classique mais leurs chairs ont beaucoup trop souffert. Ce sont des hommes cassés, forts et puissants, épuisés par l’immensité du temps qu’ils ont dû passer à orner les jardins de l’ancienne Arcadie. Celle que peint Markus Lüpertz ne possède plus de soleil. La lumière qui se pose sur les êtres encore présents rend saillant chacun des plis de leur anatomie harassée ; Herkules, Circe et Orpheus tentent d’y conserver une dignité perdue en faisant porter l’ombre de leurs bras sur les marques de coups. Pourtant rien ne disparaît, dans les failles factices que l’artiste fait lézarder partout et jusque sur les encadrements des toiles les faux marbres recouvrent les faux-semblants et se moquent des promesses d’un art conceptuel, lui aussi vaincu et laissé mourant dans le champ des ruines antiques où s’entassent les dieux renaissants.