Que seraient nos présences si elles étaient soudainement réduites à une mesure ? Des fantômes et des fossiles logés en tout et en rien – invisibles –, on s’y heurterait sans trop comprendre.

Horizontal Alphabet – le dallage de briques en plâtre et de morceaux de verre qui jonchent le sol de la Galerie Jocelyn Wolff – fait prendre aux visiteurs le risque d’écraser un bras. Un seul geste de travers, un pas malencontreux pris par inadvertance, et se fracasse en un douloureux charnier l’équilibre du repos qu’avait soigneusement mis en place Katinka Bock. C’est dans l’articulation des surfaces et des contours que sont liées les mesures qu’elle récolte dans son entourage. Une fois relevées, elle leur donne une existence physique, les consigne en un enregistrement à la fois précis et clairement délimité. La combinaison les rend presque évidentes, mais a pour corolaire d’en éveiller la fragilité.

Une fragilité bien réelle, une fragilité palpable.

Les feuilles de papier exposées sous le titre Recording paper ont été utilisées pour enregistrer durant 24h les courants d’air d’appartements parisiens. Recouvertes de traces grises et ondulées d’humidité, elles ont maintenu l’entrebâillement d’une fenêtre sur l’extérieur. Avec leurs lignes et leurs petits carreaux ce sont certainement les plus exactes représentations du mouvement de poignet que l’on opère matin et soir en un quart de tour pour s’ouvrir puis se fermer à la poussière et à la pluie.

Deux tuyaux sortent de la cuisine de la galerie. L’un et l’autre donnent sur l’extérieur où s’écoulent – selon un protocole précis prenant source dans les manipulations quotidiennes des employés de la galerie – un filet d’eau clair et un autre d’eau salée. Les coulures sèchent sur le bitume en laissant un dépôt dont le zigzag prend lui aussi sa source dans une suite de mouvement de poignets : des paumes que l’on lave, un verre que l’on remplit…

La réserve de la galerie a été investie ; elle communique avec l’espace d’exposition avec un trou pratiqué par l’artiste où l’on peut passer la tête. À l’intérieur plusieurs sculptures occupent le sol. Autour, une main courante constitué d’une simple fil ceinture la salle et ponctue les murs de mètres inégaux laissés par chacune des personnes auxquelles Katinka Bock demanda d’indiquer ce que pour elle représente un mètre de long.