Laurent Grasso raconte des fables contemporaines, mais il le fait avec les moyens de la Renaissance italienne. En cela il se positionne, à l’instar des artistes du XVe siècle, à la charnière entre des redécouvertes et d’importantes avancées. Mais là où il fut question de s’approprier l’héritage de l’Antiquité et de s’en servir pour renouveler l’art, l’artiste se sert de l’héritage de la Renaissance pour reformuler des problématiques actuelles.

Or que peuvent des tableautins face à la peur des éléments, l’incertitude climatique, le choc des économies et des cultures, la mort, l’éternité ? La réponse se trouve dans l’épaississement du mystère. Ils n’expliquent ni se s’entourent de statistiques, ne font pas de sociologie, mais rendent palpable, par la simple figuration, les craintes fondées et celles imaginaires.

Laurent Grasso s’y emploie sans malice tout en soignant la qualité de ses références. Paolo Uccello, Savonarole, Galilée et Nostradamus canalisent les brouillards et irriguent l’Histoire ; on reconnaît le profil du second et le hiératisme déterminé du premier. Parmi les catastrophes et les miracles, l’apparition d’un double soleil occupe presque toute l’exposition. De cette gémellité, devenue évidence après avoir été prédite de longue date par la science et la fiction, découlent confirmations et conséquences. Toutes étaient contenues dans les reflets des Anechoic Wall. Ces panneaux de cuivre ou de marbre, semblables à ceux utilisés pour insonoriser. Aux observateurs attentifs ils auraient renvoyé les images professées. Toutefois, là encore, le contenu de l’information compte moins que son véhicule.

Car c’est là que se situe l’enjeu de ce travail, dans l’incarnation palpable des troubles : dans l’imperméable tissages de supports permettant la comparaison de ce qui fut, de ce qui est, de ce qui sera. Laurent Grasso les formule et les dispose au même niveau de véracité. Libre à chacun de s’en instruire ou de fermer les yeux, comme se referme sur le visiteur inattentif la porte dérobée de Project 4 Brane.