L’art de Miriam Cahn est conflictuel, de ce type de conflits qui naissent et s’entretiennent simplement en soufflant un peu trop près du visage de son interlocuteur. Qu’importe le sujet, qu’importe la douceur ou la violence de ses mots, Miriam Cahn ne peint pas pour être intelligible, cela se passe ailleurs, autrement, à fleur de peur, comme lorsqu’un organe saisi de froid se réveille en un frisson au milieu de la nuit.

C’est de cette manière que les visiteurs de l’exposition au Centre culturel suisse sont accueillis. Des fusains éthérés aux formes humaines explosent depuis leur bassin à la manière inattendue et joviale des bons petits diables en boîte. En face, un homme bandouille rose, les poings serrés et rougeoyant.

Une autre salle a été remplie de visages allongés et endormis. Ceux figurés de profil, couchés sur le dos, ont le souffle mou, la respiration quasi absente comme s’ils allaient mourir d’une minute à l’autre. Ceux allongés de côté semblent plus apaisés, plongés dans un sommeil reposant. Tous sont couverts de carnations fluides et multicolores. À l’intérieur les sangs bouillent, et entre eux les chairs rougissent ou bleuissent traversées de traces vertes et jaunes.

Dans un couloir d’autres peintures d’hommes allongés côtoient des dessins de coups de poing, des têtes amochées, de petits paysages et des photographies étranges où apparaissent des membres en glaise interagissant avec d’autres bien vivants. Ce sont des mains, des poignets et des avant-bras, une tête et un pénis aussi.

Dans l’ultime salle du parcours sont rassemblés de très grands tableaux, des figures debout dans des paysages d’aurores boréales. Nus, le corps sans aspérités ni le moindre grain de beauté, ces hommes, ces femmes, ces animaux et ces enfants ont leurs extrémités éreintées. Pieds, pattes et mains ont été écorchés par la peinture, parfois n’en reste que des moignons. Même le grand arbre qui occupe seul l’une de ces grandes toiles lève au ciel des branches droites et victorieuses aux extrémités racornies.