Que reste-t-il quand l’image et la surface deviennent les éléments fixes de l’élaboration d’une peinture ? Une fois l’épaisseur marginalisée, le sujet repoussé, les gestes picturaux, les icônes et le discours générés mécaniquement, voire numériquement, que trouve-t-on encore à tordre et à articuler ?

La réponse pourrait être la matrice, la grille à partir de laquelle est générée l’œuvre. À la fois condition technique, présupposé choisi et structure sous-jacente, elle intervient comme un tamis au filtre duquel passe la composition. La complexité de ce tamis devient l’enjeu de la peinture. Grâce à lui il est possible, à l’instar de Christopher Wool, d’agir sur la couche picturale sans y mettre la main et, inversement, d’y mettre la main sans y laisser de trace tel Albert Oelhen dans ses travaux conçus au travers d’un logiciel ; toute la geste du peintre s’y retrouve – brusques arabesques et vigoureux griffonnages – codée numériquement, sans la moindre épaisseur et pourtant bien présente.

Ces solutions de mise en retrait permettent aux artistes de prendre l’ascendant sur l’œuvre, leur corps n’y est plus inclus, le face-à-face avec la toile se distend par l’action interposée de la mécanique et du numérique. Cette position surélevée peut être construite de nombreuses manières. Le travail de Tauba Auerbach joue avec cette création d’espace. Tout semble y provenir du lointain, que ce soit par le biais d’une vision microscopique ou macroscopique. Comme si l’artiste intercalait systématiquement entre l’observateur et son travail un dispositif de lentilles optiques.

Dans le cas de Tom Ziegler, la trame est celle du geste du peintre appliquant des couches superficielles à ses tableaux. Une fois le corps étalé, l’artiste fait demi-tour et agit en affinant l’image jusqu’au point limite de sa dématérialisation. À l’aide de machines à poncer et à lustrer, il abrase la couche peinte pour en faire affleurer le soubassement, la lisière du support métallique qui apparaît en lacune. Entre les deux mouvements seul le temps de séchage intervient. La volte-face est immédiate : l’acte de peindre à peine achevé, l’artiste le retourne pour en retrouver les prémices recouverts quelques heures  auparavant.

Ces gestes ne sont pas anodins. Réversible, la peinture accède à une forme d’autonomie vis-à-vis de l’artiste. L’action de création devient une boucle, un cycle qu’il est possible d’élargir ou de rétrécir et dans lequel l’acte qui prime n’est plus la dernière marche vers l’œuvre achevée, mais l’arrêt du mouvement.