Les murs de l’Étrange cité des époux Kabakov sont recouverts de crépi hâtif. Blancs et hauts, comme ceux d’une villa moderne en bord de Riviera, ils laissent affleurer les plaques qui composent sa structure sous-jacente : étranges apparitions des signes de leur effondrement programmé. Alors même que cette ville est un simulacre de ruine, les réseaux de lignes que tracent les jointures entre les éléments de construction portent au regard des visiteurs la promesse de leur destruction prochaine. Ils forment un quadrillage régulier que l’on peut suivre du début à la fin de la visite ; partout le même germe d’effritement, la même preuve d’un travail trop rapide, pensé pour être temporaire, dessine au compas un plan de ville parallèle à celui établi par les artistes.

Les ruelles laissées entre les édifices de crépi lézardent sous la chaleur de la verrière. À chaque bâtiment une entrée et une sortie entre lesquels sont présentés les différents éléments de la ville imaginée par les Kabakov. Le projet, trop maigre pour les espaces à habiter, a été étiré ; les petits dessin initiaux, photographiés pour être agrandis ; les maquettes, comme celle de Manas où figure de grosses turbines, sont entourées de vastes étendues vides sur lesquelles s’éparpillent de toutes petites maisons, désordonnées, tels des moutons de crèche, décoratives et pittoresques. On déambule, scié par le vide de la démonstration : l’étrange cité des Kabakov disparaît sous nos yeux à mesure que l’on en découvre les plans. Dedans comme dehors, tout semble ne tenir qu’à un fil dont l’effort douloureux maintient le monument debout, mais a définitivement cessé de faire illusion quant à la possibilité pour ce projet de contenir le moindre désir, la moindre promesse.

La résiliation passée, les visiteurs continuent leur morne ronde. Face au spectacle éclatant de la défaite contenue en elle-même, ils peuvent savourer l’ironie sécrétée par l’art quand, badigeonné à la culture, il rejette la greffe et devient aussi amer que la plus primitive des variétés d’amande.