Au Centre Pompidou, on entre dans l’installation de The Clock sur la pointe des pieds tels des retardataires au beau milieu d’une projection privée. Une quinzaine de canapés blancs ont été disposés face à l’écran, en rang, trois par trois, invitant le flux des visiteurs à s’installer le temps d’une poignée de séquences.

Comme au cinéma, on choisit avec qui l’on veut s’y rendre, les places de devant pour ne pas être ennuyé par ses voisins, les places du fond pour s’enlacer dans la pénombre et glisser ses bras le long d’autres bras.

Une fois assis, il ne reste plus qu’à prendre en cours le fil des épisodes, enchainant rythmes et plans selon l’unique critère de leur situation temporelle. Toute la narration est contenue dans le défilement du temps que l’artiste a mis bout à bout. À chaque instant l’heure indiquée correspond à celle que nous donne notre montre ; et à aucun moment il n’est possible d’en perdre la notion, puisque l’œuvre en est la mesure en même temps qu’elle en subit le rouage. L’expression de la durée s’enroule sur elle-même ; comme dans un grand carrousel, il suffit de s’y assoir pour coupler notre perception du temps avec celle, mécanique et panoptique, des aiguilles en rotation. Il suffit aussi de se lever de sa place pour que la ronde du manège se détende et s’élargisse. Au loin le manège n’est plus rien, et le cheval, la sirène et l’auto, dont nous avions épousé le point de vue, partent de guingois, décélérant dans le domaine du souvenir. Devenu malléable, ce temps arraché à l’œuvre par les spectateurs devient une bulle de chewing-gum ; on peut à loisir la conserver, la laisser se durcir ou continuer à la faire tourner et à y imprimer notre souffle. Logée dans le ressac de notre palais, elle change de forme et s’imprègne de la salive des mots que l’on formule, mais aussi de ceux que l’on ne dira pas et dont le rythme intime ne se partage que par contact.

Ce rythme est celui d’une scène d’amour, de baisers et de vague à l’âme ; une scène de coup de feux, de regards, d’empoigne ; une scène de voiture entre chien et loup sur une route de rase campagne, sans quasiment aucune conversations, silencieuse et enamourée.