La peinture de Michaël Borremans a la qualité ductile d’un fin glaçage – légèrement sablé, pareil à la crème au beurre quand on y met beaucoup de sucre et que celui-ci crissotte entre les dents et la paroi du palais.

Mais sous le sucre, on devine par endroits la réalité se déliter, fondre et tomber derrière les coups de pinceau dont le gras s’abaisse à force de regards, comme les voiles de mariées s’écartent et laissent apparaître à leur revers les chairs du cou et la nuque où se loge, visible, mais inaccessible, le désir nu.

C’est dans cette épaisseur sensible que sont construits les tableaux de Borremans. On ne peut les aborder qu’avec troubles ; l’envie si terriblement fixée sur la toile, que jamais l’artiste ne clôt totalement, palpite lentement et entraîne irrémédiablement avec elle celle des visiteurs. Artificiellement créé, ce diapason finit par plonger la visite dans un rêve semi éveillé fait de visages et de postures construites sans mouvements dans des espaces purement picturaux, où les corps somnambules des femmes, des hommes et des enfants simulent des creux ménagés par le peintre dans les murs telles les empreintes que l’éruption du Vésuve créa à Herculanum et Pompéi. L’absence de bruits et de maux confirme la disparition des corps. Une disparation qui n’est toutefois pas achevée ; les empreintes, muettes, ne sont pas totalement immobiles, d’un coup d’œil à un autre, elles semblent souvent s’être déplacées, avoir sensiblement bougées.

Cet effeuillage en cours est chargé d’une poésie que l’on trouve au niveau des lèvres. Et tout particulièrement sur celles de The Son dont la bouche est comme un pétale de rose presque parfaitement épanoui.

Il y a là une théâtralité que l’artiste fabrique en superposant plusieurs temps dans sa façon de peindre. Tout n’est pas fait d’un seul coup et sous les lumières cinématographiques qu’il projette, le naturel possède plusieurs visages dont il use aux loisirs de la transformation de ses humeurs. L’étrange cultivé parfois jusqu’à l’impasse est à ce prix.