Pierre de touche historique, la rigueur dans l’abstraction géométrique est pourtant un simulacre, une tangente piquée d’axiomes inaccessibles, de sous-entendus et de simagrées dont usent et se font un plaisir de détourner à leurs fins les artistes réunis dans l’exposition Post-Op. Untitled (2005) de Louise Bourgeois pourrait être l’emblème de cette mise au point ; le sommet du parasol aux rayures jaunes et blanches qu’elle déploie à tout d’une géométrie exigeante, et pourtant, l’intention de l’artiste combinée à celle de l’observateur empêche de s’en tenir là. Coincée dans son petit cadre, elle fait songer à la souplesse étalée d’une toile d’araignée en cours de tissage sans pour autant parvenir à convaincre. Il y a un doute.

La peinture de Dan Walsh aussi de cet autre ordre. Les couleurs sourdes de la structure linéaire faite de bandes de différentes largueurs – mais partout d’une même épaisseur –  sont appliquées avec le trouble de la régularité humaine. On peut les suivre du regard dans les couches et les perspectives d’huile qui se chevauchent, se dédoublent et forment une sorte de trampoline musculaire sur lequel rebondissent mollement toutes les volontés que l’on y projette. On a beau vouloir ne rien y voir, ou, inversement croire la décrypter, cette peinture ne permet pas de trancher.

De la même manière, dans les tableaux contraints au scotch de Mickael et Florian Quistrebert la peinture est posée sur la toile à la façon d’un canevas fait de langues tissées entre elles selon un schéma préétabli, mais qui subirait l’acte de peindre comme une suite de chiffres subit le hasard d’un coup de dés. L’œil y entre, puis se perd dans un cheminement sans fin où il tourne et retourne à l’infini le long des hallucinations optiques qui se détachent de la toile sans qu’aucune stratégie ni malice ne soient intervenues. Phénomène que l’on retrouve dans le travail de Karuko Miyamoto dont les structures atomiques bicolores, qu’elles soient peintes à la bombe ou tracées à la règle, sont intrinsèquement chargées d’embardées et d’irrégularités qui sifflent et qui fument sans pour autant que l’on n’en voit le feu.

L’op sans le dogme c’est de la musique. C’est aussi le bruit amplifié de la peinture en anneaux concentriques de Blair Thurman que perce le mur blanc en leur cœur. Des anneaux, pareils à des anneaux de vitesse, qui tournent et tournent, accélèrent à nous donner le tournis.

Et de même que les Wall Drawing de Sol LeWitt n’existent que dans le déplacement du spectateur qui s’en approche ou s’en éloigne, faisant vibrer l’enchevêtrement des diagonales et des horizontales qui le compose, l’association des mains et de la pensée du maître frissonne à chacune de leurs actualisations et dont la conséquence va bien au-delà de l’unicité de ces réactivations, mais prolonge pour chacun le mouvement de séduction intellectuel initié à la seconde où l’œuvre a germée dans l’esprit de l’artiste et étendue la trame sonore du graphite à quatre mains qui s’appliquerait sur le mur.