Les grands tableaux noirs de Wade Guyton, mats, lisses et odorants, ne sont que traces. On n’y trouve ni signes ni geste, aucune figures, pas même une intention : rien d’autre que le bruit irrégulier des imprimantes que l’artiste utilise pour les réaliser.

Et pourtant, la couche picturale est si précisément ouvragée que l’on se trouve le nez dedans au bout d’une seconde. L’enregistrement qui y figure a beau être celui de la vie des ordinateurs, des scanners et des encreurs, il n’en est pas moins vibrant de subtilités. Tout se joue entre l’extrêmement finesse de l’activité des machines et l’irrégularité des surfaces où elles s’appliquent selon le même axe horizontal verticalement répété. Ces suites de droites plus où moins opaques sont l’apparition sur la toile de défauts combinés à d’autres : ceux de l’imprimante, exacerbés par ceux de l’encre qui se voile en séchant, et que creuse l’association entre la trame de lin et la couche d’apprêt qui y a été administrée. Les unes adossées aux autres, ces anomalies se chevauchent et se combinent selon des séquences invisibles à l’œil nu, mais qu’il serait parfaitement envisageable de comptabiliser et de réduire à l’expression d’éléments de base combinés et démultipliés pour former une chaine semblable à celle de l’ADN.

Un code dont l’évolution, ou plutôt la lente dérive faite de grains et de pertes, serait le fruit d’un hasard. Puis d’un autre hasard enroulé autour du premier, lui même contenu entre d’autres hasards s’entrechoquant en permanence pour alimenter la rumeur du ressac qui les broie et les fait crisser sans relâche jusqu’à ce qu’ils deviennent trop petits et laissent place à d’autres hasards, nouveaux, mais toujours constitués du même suc noir.

L’œil qui les perçoit, sans être capable de les dénombrer, se pose dessus comme l’on s’assoie à la plage : en s’enfonçant légèrement et creusant un contour pour sa masse, unique contour qui nous est propre et parfaitement réductible, mais dont on s’aperçoit en se levant qu’il ressemble à toutes les autres pauvres dunelettes milles fois répétées et dont le mystère nous échappe et nous réduit à n’être qu’un accident dans l’enchainement des circonstances.