Engoncée dans des protocoles identiques depuis plusieurs décennies, la peinture de Piffaretti semble tenir grâce à un corset. Elle n’évolue presque pas, toute entière contenue dans la dizaine de règles que l’artiste a érigées pour lui permettre de perdurer.

Il faut dire que l’abstraction de Piffaretti, si elle cultive une élégance qui lui est propre et qui poursuit son cheminement parallèlement au cadre méthodologie, ne s’inscrit pas dans une démarche de conquête picturale. L’histoire secondaire qu’elle déroule est celle d’un peintre et de son rapport à la toile, celle du plaisir de faire comme l’on ne fait que pour soi des peinture domestiques, ni révolutionnaires ni bouleversantes, simplement des peintures ; presque comme l’on cultive un jardin où s’exerce l’expérience du possible recommencement des labeurs et des joies. Ces œuvres n’ont d’ailleurs pas de titre. On passe de l’une à l’autre par simple glissement formel. Celles-ci parviennent cependant à surprendre, et parfois même à solliciter des instants de sensualité et de plaisirs picturaux sauvages qui apparaissent, par endroits, sous la forme de pièges, aspirant l’attention, ôtant à l’esprit l’idée même du concept. Pièges, et bonheurs, qui pourtant ont souvent à voir avec le concept de l’œuvre puisque nichés dans la transgression constitutive du protocole, à savoir l’impossibilité de répéter les gestes, et que fait crépiter la symétrie appliquée par l’artiste.

Mais ces moments, s’ils arrivent, ne sont pas indispensables à la continuité du travail. En cela Bernard Piffaretti a trouvé le moyen d’être peintre et d’être artiste en séparant ces deux activités tout en les rendant solidaires : de mauvaises peintures ne faisant pas de lui un mauvais artiste, qualité artistique qu’il acquière pourtant en continuant à peindre. Car la condition artistique de cette activité, sa justification, étant prise en charge par l’étroite langue de possible qu’il s’est choisie, les peintures se transforment automatiquement en œuvres sans autre impératif que d’être contenues dans les limites préétablies de l’affaire.

Ne reste néanmoins qu’une seule œuvre. Celle qui fit oublier le concept et qui contient toutes les autres.