Les signes vieillissent. Leur sens dérive inexorablement ; ils glissent d’une idée à une autre par contact, pareils à l’humidité qui se déplace en transformant le substrat qui lui donne corps et qui passe d’une forme à une odeur et d’une couleur à une texture, régulièrement, avec un temps d’avance sur les mots, les choses, et leur emploi.

Le travail de Claude Viallat refuse de toutes ses forces cette échappée. Le signe, l’osselet inchangé depuis des décennies, continue à recouvrir les surfaces malgré les digressions de support et l’évolution de sa perception. Coûte que coûte, l’artiste maintient sur un rail cette double vaguelette que relie deux arrondis.

Dans les œuvres qu’il présente à la Galerie Templon, l’osselet est appliqué sur des tissus provenant d’un de ces magasins de tôles grises, surmonté d’une enseigne criarde, que l’on trouve dans n’importe quelle zones commerciale. Motifs, matières, tout en eux respire la grande consommation à bas prix. Ils en retirent une qualité télévisuelle indéniable, une relation avec le paysage culturel et visuel qui est le nôtre. Ils sont actuels, ringards, mais d’un ringard qui appartient à notre époque. Car Viallat, qui refuse de dériver, est obligé de suivre le cours des modes et des démodes. Pour bloquer son signe, sans pour autant l’asphyxier, il est contraint d’en renouveler le contexte, ou plutôt de suivre l’évolution de son contexte, de s’y plonger et de s’en gorger afin de rester même. Pris dans ce débit, l’osselet est un commentaire sans surprise, un coup, toujours identique, porté sur des toiles qui changent et à propos desquelles il dit toujours la même chose.

Mais autour tout change ; les observateurs qui n’aimaient pas les toiles cirées ont été remplacés par d’autres qui ont vomi le jean, puis d’autres, et d’autres ; le lycra et le made-in-china se sont substitués au lin et à la toile de jute. Les osselets qui ne bougent pas finissent par donner le tournis ; l’espace d’un petit instant, ils offrent, pour peu que l’on renonce à pouvoir y toucher, l’opportunité de contempler la marche du sens.