Depuis quelques temps déjà, le travail de Berlinde de Bruyckere a fait l’économie des visages. L’épiderme devenu chair, la chair devenue calcaire, lui-même devenu lange, le marbre, les veines et les membres des êtres qu’elle façonne se sont peu à peu calcifiés, repoussant vers l’extérieur les mucus qui autrefois bâtèrent à fleur de peau.

Ce que l’on découvre à la Maison Rouge s’apparente à des troncs maintenus dans de la cire et des tissus gorgés de vieillesse, simplement posés sur des planches, des morceaux de métal rouillé, saucissonnés à eux comme s’ils venaient tout juste d’y être laissés après avoir reposé dans l’indistinction d’une vase épaisse et verdâtre où on les aurait plongés afin de les y faire disparaître, lestés et bâillonnés. Malgré cela, parvenus à nous, ils attendent de connaître ce que de leur corps momifié peut désormais advenir.

On les contourne, ne sachant pas quel statut leur donner ni quel rapport nous pouvons admettre que ces sculptures entretiennent avec notre propre corps. Leur extrême passivité nous laisse le temps de la réflexion mais, pressé par la température ambiante et l’anxieuse possibilité que porte cet état intermédiaire continuellement voué à être maintenu, on perd toutes facultés silencieuses. Car en leur présence, seul le mouvement permet de s’assurer de ne pas s’engorger soi-même : seule l’articulation des lèvres et de la langue donne à celui qui l’exerce la certitude d’avoir une tête.

Autour d’eux, des grandes feuilles jaunies accrochées à touche-touche remplissent les murs d’un écho formulant cette lute. Elles comportent des phrases et des slogans écrits à la hâte au pastel. L’oubli en est le sujet récurrent.

Elles sont l’œuvre de Philippe Vandenberg dont on découvre plus loin les dessins et les peintures à l’aspect de jeux d’enfants, gribouillis mis à part, tous maculés de tâches indéchiffrables. Ils semblent pourtant avoir un sens de lecture et être le résultat d’une volonté de figurer et de communiquer. On y devine des comptines, de courtes fables décrivant des morales orgiaques, des légendes et des mythes destinées aux adultes où les souvenirs de vengeance et de feu de bois projettent des ombres animales et humaines parcourant la mémoire et en amplifiant les gestes défigurés par la couleur et les pointillés que partout éructent les artistes.