Que faire, in extremis, avec un lieu aussi chargé d’émotion qu’exsangue de mémoire, comme le fut l’ancien l’hôpital psychiatrique de Picauville ? C’est la situation ayant échue à Philippe Artières et Mathieu Pernot. La difficulté majeure était, au-delà de ce qu’il y avait à dire et de ce qu’il y avait à montrer, que le souvenir de tout ce qui avait déjà eu lieu – si fragiles depuis la fermeture de l’établissement – puisse être recouvert par les propos des deux intervenants et définitivement s’éteindre. Le photographe et l’historien ont donc pris le parti d’articuler leur travail sur le fonds d’archives de l’institution. Des images, témoignages plus où moins orientés de la vie dans la communauté, proposées non pas comme une histoire photographique de hôpital, mais comme une histoire hospitalière de la photographie.

Accrochées chronologiquement, elles déroulent les genres et les modalités de la photographie, avec ses tics que l’on reconnaît immédiatement, ses us et nouveautés : des plans de groupes frontaux, des vues en biais dynamisées par le regard des protagonistes, des architectures très composées, des cartes postales, et des petits moments picturaux et pittoresques de la vie des sœurs du couvent.

À cette histoire, Philippe Artière et Mathieu Pernot n’ont pas pu résister à l’envie d’ajouter leurs propres habitudes d’artiste et de théoricien – formalisme et périmètre –, pierre supplémentaire dans le jardin des commentaires que réalisèrent pendant près d’un siècle ceux qui laissèrent leurs traces dans les archives de l’asile. Puisqu’il y eut les photographes ambulants, la pratique des directeurs, celle des contremaîtres, du jardinier, des animateurs de la kermesse, l’initiation des uns, le travail des autres, ils s’ajoutent, presque naïvement, pour ne pas dire tragiquement, dans l’histoire du regard biaisé que porte les photographes sur des souffrances quand celles-ci sont traitées comme des sujets.