À ne plus manipuler les documents, à traverser les couloirs d’archives des piles de papier buvard à la main, remplissant des bases de données, scannant, analysant, on oublie qu’un document est objet dynamique. Que s’ils sont la forme d’une information, cette forme peut substituer aux informations d’autres types de relations. Et ce sont ces relations nouvelles, leurs actions sur les objets et sur les formes, qui donnent leur valeur aux documents.

Le travail de Géraldine Millo est pleinement inséré dans ce problème. Ses photographies, les documents qu’elle crée lors de résidence dans des lieux de formation professionnel ne sont pas seulement des traces, et encore moins des prétextes, ils sont des liens, une multitude de liens qui n’avaient d’existence que potentielle, mais qui désormais ont une visibilité et autant de sens de lectures qu’il existe de permutations entre les images et les commentaires qui y sont associés.

Pour l’exposition présentée dans la halle de Cherbourg, l’histoire commence avec Cédric D. Les noms et les visages, les bribes narratives que l’on y associe, depuis les chalutiers et les hangars de construction navale, les bâtiments de guerre et les exercices de survie en piscine, se concentrent, s’étirent et se complexifient tout en conservant une intime théâtralité. Difficile de savoir qui sur-joue pour la photo, qui est ainsi au quotidien, qui rit à pleines dents puisque le document que l’on observe nous embrasse, les yeux rivés aux nôtres. Il y a au sol des quantités de crabes, les cirés jaunes et une jeunesse ni héroïque, ni misérable, que l’on voudrait prendre dans les bras, tant ici la subtilité pénètre l’indolence de cet âge où tout est si terriblement fracassé.

Un fond sonore teinté de tubes radios grand public accompagne un film réalisé par les élèves et Géraldine Millo. Le montage a conservé les aspérités des conditions du tournage, on y entend les interjections des jeunes qui se charrient sur cet air du temps si difficile à décrire, si insaisissable, et que pourtant on reconnait clairement derrière les lunettes démodées qu’arbore Guillaume D., torse nu sur son petit carré de gazon bordé le goudron.