Installée au Palais de Tokyo, l’œuvre de Philippe Parreno séduit. Sa poésie de fin du monde, décadentiste et heureuse, sublime le goût du beau et du propre de l’artiste. Tel Néron avant lui, Parreno se prépare à mettre le feu. Ses écrans géants et l’impeccable laque des pianos mécaniques parsemés dans l’exposition en témoignent. Il n’y a qu’à participer à la joie béate du public pris dans la solennité de son travail pour se persuader qu’il a raison. L’universalisme quasi épiphanique des moyens visuels et sonores qu’il met en place rassemble. Il y a là un éloge de la lenteur, de l’évidence et du partage de l’expérience, qui s’achève avec la magistrale démonstration de réalisme qu’est Annlee, l’insupportable performance réalisée en boucle par des jeunes filles, parfois même des enfants, jetant à la figure des visiteurs leur condition passive de spectateur.

Médusée, impudique, inexplicable, cette rencontre avec l’anonymat est précédée d’une autre œuvre fonctionnant, à l’inverse, sur l’expression collective de la consommation de la célébrité.

La calvitie de Zidane est certainement l’une des plus belles choses télévisuelles de ces 20 dernières années. Avec sa forme de protège-slip féminin, l’absence de cheveux attire à elle toute la société : celle des talentueux avec celle qui gagne, celle des chauves avec leurs dames, celle de ceux qui regardent et celle de ceux qui agissent, forcée par les caméras qui ne filment qu’elle, uniquement elle, et ce quelle que soient les actions menées ailleurs sur le terrain. L’œuvre vidéo crée un moment de collégialité où les regards sont tissés autour du sportif. Tel un étendard orienté par le sens du déplacement de celui qui le porte, l’œil arrimé à la course du joueur en devient le contour, le contexte. L’image hagiographique prenant le pas sur la curiosité, rien ne compte plus que cette calvitie. Ce film on le connaissait, mais présenté ici, l’installation vidéo, éparpillée sur une dizaine d’écrans, ajoute une dimension essentielle à la pleine compréhension de cet événement. Incapables de voir toutes les vidéos en même temps, les visiteurs pénètrent parmi les projections en pensant que le montage a été fractionné en autant d’écrans, soit une douzaine de points de vues différents. Les parcourant, on parviendrait à les englober, construisant en même temps une relation personnelle avec le rituel auquel on assiste. Sauf qu’une fois cette impression consommée, on se rend compte que tous les écrans retransmettent la même image. La multiplicité n’est qu’illusion ; l’installation en crée les conditions sans pour autant la rendre réelle. Par le truchement de ce dispositif, Parreno fait la démonstration que nos individualités, exacerbées par l’image rageusement excitante du corps du héro en pleine action de grâce, enflent mécaniquement face au désir.