Prisme est un projet qui fait emprunter des chemins de traverse, des itinéraires bis, pas forcement incongrus, dangereux ou inusités, mais peu médiatiques. C’est a ce genre de déplacement qu’invite l’exposition : le 6b n’est ni loin, ni caché, mais les taxis ne vous y emmènent pas.

Tout au fond de l’espace d’exposition un mur placardé de feuilles imprimées donne une route. À ces indications sont adjointes deux photos Google satellite, une pour le point de départ, une pour celui d’arrivée, ainsi qu’un plan : ensemble ils constituent Le voyage de Rien à Rien, la quête initiatique d’Emilie Akli. Pièce conceptuelle ? Documents ? Paperasse, appendice pour automobilistes sans G.P.S. Dans un monde où l’on peut aller partout, l’artiste a choisi de partir de Rien pour aller à Rien – 1 129 km, 10 heures 9 minutes pour le chemin le plus court –, une route qui l’a menée de France aux Pays-Bas via la proposition faite par une connexion internet consultée depuis chez soi, assis, sans bouger.

Moins longue, la distance qui donne lieu au travail de Cyberceb – six photographies en noir et blanc, chacune prise sous un pont différent – reprend des citations d’auteurs évoquant ces cours d’eau. Telles des barrières, des frontières physiques autant que métaphoriques, l’association de l’édifice et du débit informe de l’eau enferme l’horizon là où la poésie se heurte à réalité. Plus loin, c’est encore de fuites dont il est question dans le travail d’Andreea Talpeanu, sauf qu’ici ce ne sont pas ses sujets qui portent cette ligne, mais la disposition que leur donne le photographe. Par des jeux d’horizon et de symétrie, par une association de gestes très simples, il fait apparaître des droites qu’il positionne pour couper en deux ses images ; il les renverse, leur applique une inclinaison qui les rend évidentes ; en effet, quoi de plus évidemment brusque qu’une porte posée sur son côté ?

L’incidence des propriétés du médium photographique sur les images et la narration qu’elle porte est mise en exergue par le face-à-face du travail de Guéville Denis et de celui de Wilian Gaye. La grande photo collée sur un pan de cloison découpée du premier et l’ensemble de petites photographies encadrées du second, toutes semblables – sujet, cadrage, exposition –, peuvent donner le sentiment d’être les fruits d’un propos similaire. Or il n’en est rien. D’un côté, l’image est collée sur un pan de mur arraché. La photographie représentant l’intérieur précaire d’un camp de Rom prend le poids de son support, devenue tangible, déplaçable puisqu’intransportable, elle fait corps avec lui. À l’autre extrémité de la galerie, les petites photos relativement anodines évoquent la même vie contemporaine si délicate à d’écrire, si dangereuse à nommer. L’image multiple, et donc légère, documente un voyage, celui du photographe Wilian Gaye et d’une jeune femme partis ensemble à l’étranger sur les traces d’un lieu qui avait compté pour elle. Les photographies réactive une mémoire, celle du souvenir autant que celle du voyage commun. Ce sont des constructions idéalisées que l’on pourrait aussi bien ranger dans une enveloppe, mais que l’on montre, parce qu’il se pourrait qu’elles seules soient libres de la réalité.

Toute cette volatilité se retrouve dans le travail de Jean-Marc Planchon, sept photographies réalisées dans un train corail entre Orléans et Chartres. Le paysage est celui de la Beauce industrielle. Sur la première image un wagon porte un tag, une inscription « Les gens comprends ! ».