De Marc Desgranchamps on connaît les travaux fluides verts d’eau, aux paysages nus et ensoleillés dans lequel les figures apparaissent en transparence, dégoulinant depuis le haut des toiles comme les ombres au travers d’une vitre de voiture un jour de pluie d’été. Depuis la fin des années 1990, ses images troubles et insaisissables rendent le temps long. Souvent, on a du mal à reconnaître une œuvre d’une autre ; toutes participent d’un même ralentissement de la mémoire, une focalisation en un point précis que l’artiste s’acharne à décrire. L’image matricielle qui sert cette peinture – ce moment dont l’origine est certainement très brève et que l’on imagine issu de vacances dorées – s’est élargit en un vaste panorama.

L’exposition que présente la Galerie Zürcher propose plusieurs de ces œuvres, mais elle remonte aussi un peu plus loin. Elle remonte jusqu’à celles, plus sèches et hiératiques, qui caractérisaient le travail de Desgrandchamps avant le tournant du siècle. Les trois arbres de 1991 qui ouvrent l’exposition, verticaux et émondées sous un ciel de bande dessinée, sont de ceux-là. Ils barrent la route de leur présence sculpturale. Ailleurs, ce sont les figures qui jouent ce rôle, pas la peine de suivre leur regard elles ne sont ici pour personne. Leur profil et leur dos sont donnés comme des signes de dédain, un dédain qui n’est pas celui de l’observateur mais celui de la narration. Il n’y a d’ailleurs pas plus de titre que d’indication. Dans ces œuvres, l’espace est barré par chacun des éléments qui y figurent. Les uns par rapport aux autres, ils forment des circulations dans lesquels l’œil zigzague. La figuration intervient comme un second langage qui s’enroule autour d’eux, mais jamais ne prend le dessus. Signes et signifiés se regardent comme des chiens de faïence auquel on aurait omis de réaliser la glaçure.

Malgré leurs différences, y a entre ces deux moments de peinture un mouvement qui les relie. Les plus récentes demandent de s’y enfoncer lentement, de ne pas s’y jeter pour profiter de l’ondée qu’elles dispensent à ceux qui ont pris le temps de s’y attarder : surtout, ne pas s’en approcher trop vite, sous risque de les voir se cristalliser et devenir imperméables. De même, mais pour des raisons différentes, il faut faire le chemin inverse avec les peintures anciennes. Il est préférable, d’abord, de venir s’y coller et prendre toute la mesure de la mollesse des formes pour ensuite s’en écarter et les voir se tendre et s’agencer comme les obstacles d’un concours équestre pour, plus loin, pleinement profiter de leur composition qui fait rebondir le regard comme un balle de flipper sur les fesses et les avant-bras des baigneuses qu’aime tant Desgrandchamps.