Qu’en est-il de la bichromie quand on l’étale sur des dizaines de mètres linéaires ? Si cette année les Rencontres reposent la question du noir et blanc, c’est qu’il persiste à offrir des solutions aux photographes, qui ne les trouvent pas ailleurs. En accusant l’écart avec le monde, il autorise celui qui tient l’appareil à garder une stricte distance, une sorte de distance moyenne qui enfonce les images dans la langueur, et qui demande à ceux qui les observent de faire un effort. Comme si, pour voir une telle image, il fallait que le photographe et l’observateur fassent l’un et l’autre un même chemin parallèle et contraignant.

Ce chemin est le chalenge de cette édition.

La section intitulée est certainement celle où ce travail est le plus délicat. On y trouve, entre autres, les photographies de John Davies. L’Angleterre grise, sa campagne mordue par l’industrialisation, ses chevauchements architecturaux brutaux et sans jamais la moindre personne autour. Le photographe arpente les périphéries et les espaces de passage, ceux où le face-à-face végétal-béton est le plus raide, le moins harmonieux. John Davies parcourt aussi la France, proche cousine, elle aussi heurtée et marquée de stèles, partout ponctuée de mémoriaux. Face à ces images la tentation de se balancer entre cadrage, belle lumière et critique sociale est grande, mais c’est au pourtour de ce triangle qu’il faut se tenir. S’abstenir de franchir le pas et regarder.

L’exercice est inutile avec les photographies d’Antoine Gonin. Contemplatif, il y enregistre des paysages qu’il transforme en surfaces ; des peaux mouchetées où le grain et la rugosité des objets fait cliqueter le regard comme si, enfant, on passait le long d’une barrière en faisant glisser ses doigts entre les barreaux. L’expérience tient du tape-cul, et provoque une certaine inanité oculaire si l’on ne prend pas le temps d’oublier les photographies précédentes à chaque fois que l’on en observe une nouvelle.

Le choix de Jean-Louis Courtinat est encore autre. Il accompagne ses images de textes pour mettre des mots et des histoires au-delà du simple constat photographique. Leurs sujets sont des pauvres, des couples et des personnes seules ; certains ont le sourire, pas tous. L’usure est présente, la misère crasse, c’est celle de juste à côté, celle de chez les tarés, les moches, les vieux, les abattus ; elle est infiltrée dans chaque interstice ouvert par l’objectif de l’appareil et donne une sorte de patine aux photographies, un vernis d’usure, mais que bousculent les récits. Rapidement, on finit par ne quasiement plus regarder les photos, où alors très brièvement pour relever les informations que ne donnent pas les textes : sexe, âge, origine ethnique. En un rien de temps on se retrouve dans le bureau d’un travailleur social à parcourir des dossiers, sans plus d’émotion, ni de curiosité. Seul reste le constat terrifiant d’avoir à s’engager.