Il a des associations auxquelles on aurait jamais songé, et pourtant, réalisées par un autre elles semblent naturelles et spontanées. Il en va ainsi de l’exposition de l’Institut d’Art contemporain de l’Université de Pennsylvanie. Le rapprochement du travail de Glenn Ligon avec ceux de Steeve Reich et d’Anna Teresa de Keersmaeker autour de leur rapport à la condition des noirs américains crée un espace de réflexion non seulement pertinent quant à son sujet, mais en même temps parfaitement libéré de celui-ci ; comme si la forme et le fond trouvaient entre ces trois pièces la possibilité de s’époumoner sans que ni l’une ni l’autre n’en pâtissent.

Come Out (1966), quatre morceaux de Reich chorégraphiés par de Keersmaeker,  sont projetés. L’ensemble dure plus d’une heure, et la musique est constituée à partir de reprises d’enregistrements de voix d’une victime du système judiciaire américain transformés par le travail du compositeur. Cette voix, celle de Daniel Hamm, est inaudible, mais elle ne l’est guère plus qu’au moment où elle fut exprimée. Dans la troisième pièce une danseuse seule est à l’œuvre, la musique est répétitive, et la danseuse, telle une pendule en liberté au milieu de la piste recouverte de sable, se balance en d’amples mouvements. Ce faisant, elle laisse au sol les traces de ses allées et venues qui vues d’en haut forment un cercle régulièrement marqué de rayons. Durant une vingtaine de minutes la caméra tourne autour d’elle, elle-même est animée de rotations et contre-courbes, rabâchant ses mouvements, s’exaspérant mécaniquement, accélérant et s’affolant, tel un lion en cage, tel un innocent en prison ; Anna Teresa de Keersmaeker occupe le peu d’espace dont elle dispose.

Sur le mur opposé 28 sérigraphies de petite taille de Glenn Ligon forment un quadrillage. L’artiste a utilisé les mêmes deux mots « negro sunshine » qu’il emprunte à une nouvelle de Gertrude Stein. Il les a imprimé à l’aide de glue puis recouvert d’une poussière de charbon granuleuse et brillante. Pareille à une plage souillée par une marée noire, ces grains sont collés, agglutinés, au point parfois de rentre illisibles les lettres et les mots qu’ils recouvrent. Le sens, déjà affaibli par la répétition, disparaît dans une forme de décoration tapageuse et culpabilisante, positionnant ainsi l’observateur entre deux états, l’un contemplatif, l’autre critique.