L’exposition sur les rapports entre les modalités créatrices dans la mode et dans l’art contemporain de l’ICA s’ouvre sur une citation de l’écrivain de science-fiction anglais J. G. Ballard « A recognition that nature has endowed us with one skin too few, and that a fully sentient being should wear its nervous system externally. » Ou, comment cette pellicule que nul ne peut éviter de porter – et que d’aucun appellera mode, quand d’autres la nommerons culture – enveloppe l’œuvre des artistes contemporains aussi certainement qu’elle les recouvre eux même ?

Dans le travail de Seth Price le motif est au centre de cette question, chez lui le motif a pour fonction de recouvrir et d’être littéralement porté comme signifiant. Patchwork Style Bag est une enveloppe de tissu bardée de sangles et de fermetures Éclair. Accrochée au mur, béante puisque laissée ouverte, elle offre aux regards sa doublure ornée de slogans et de marques avec la même impudeur évocatrice qu’un sac de couchage suspendu à un fil après une chaude nuit d’été.

La vidéo du duo de photographes de mode Inez Van Lamsweerde & Vinoodh Matadin YSL Homme F/W présente plusieurs modèles dans différents vêtements de la marque. Comme pour une publicité le rythme est appuyé, le noir et blanc léché, l’atmosphère entêtante, les visages sont beaux, les corps lisses et parfaits, sauf qu’ici, dans le contexte de l’exposition, projetée dans une salle plongée dans le noir, cette vidéo se pare d’une aura contemplative, on s’y attarde longuement, pris dans le plaisir de suivre les mouvements de tissus et les membres chorégraphiés avec précision par les vidéastes. Le message se perd. Il suffit d’un rien de temps pour oublier Yves Saint-Laurent, on pense à Viola, à Salla Tÿkka, à Douglas Gordon. Face à cette indistinction, on sent bien que la frontière est mince entre ces créations et celles de l’art contemporain. On le ressent d’autant mieux que la mode est avant tout un domaine de surfaces et d’interfaces où l’intime et le public sont en permanence en relation. En matière de vêtements ce qui se trouve en-dehors et ce qui se trouve en-dedans partagent la même matérialité. Or il en est souvent de même dans l’art contemporain qui existe et se distingue de ceux qui l’observent par une tectonique des plaques où l’on est autre parce que l’on est ensemble, voire, où l’on est autre parce que l’on est similaire.

De manière plus prosaïque les collages de Wardell Milan, réalisés à partir de photographies découpées dans des magazines de mode, illustrent ce propos. Par un jeu d’agrandissements, les trames des différentes impressions sont rendues visibles et s’opposent en même temps que les images se chevauchent. L’artiste re-photographie en suite le tout afin de l’aplatir, de le fixer. Ainsi, l’hybridation arrêtée par l’image donne le temps à l’imagination de la déconstruire. Dans ce processus la raison s’estompe, il permet à la fantaisie – dont on entend si souvent parler sans jamais la voir – d’apparaître en surimpression.

Quelques peintures de Pauline Olowska trouvent aussi leur place dans l’exposition. Dans celles-ci l’artiste joue avec les sujets et leur rendu à l’huile sur la toile. Le gras des empâtements offre aux matières une épaisseur, une nouvelle texture. La peinture s’empare de la sensation perçue pour la faire sienne, celle d’un pull en coton se change en quelque chose d’épineux, celle d’un jean devient lisse, elles s’intervertissent en fonction de la distance à laquelle on les observe, elles jouent, comme dans un doux simulacre.