L’exposition présentée à la Phillips Collection se concentre sur les natures mortes de Georges Braque ; des natures mortes, il en a peint comme si la faim dans le monde ne devait jamais arriver. C’est la grande bouffe ; et pourtant l’indigestion ne vient pas, jambons, saucissons, brocs et harengs ne suffisent pas à assommer le raffinement de l’artiste.

C’est que la peinture de Braque est faite de respirations ; dans la Nature morte au bol de fruits, bouteille et mandoline (1930) les vides forment des lignes qui, tout en enserrant discrètement le regard de l’observateur sur le compotier et ses deux grosses poires jaunes, parvient à donner un sentiment de légèreté à la composition. Même si l’espace est saturé, ses interstices lumineux laissent passer un courant d’air frais. En outre, le carreau blanc qui surplombe l’encas se déverse en grains de lumière brune sur la console qui porte et retient la nature morte. Ces granulés qui s’accumulent dans les interstices laissés entre les objets comme ils le feraient dans le culot d’un sablier, ajoutent à la pénombre du repas une dimension alchimique, singulière et vaporeuse.

On trouve dans cette exposition plusieurs tableaux étroits et allongés. Le plus souvent ce n’est pas les sujets qui retiennent l’attention chez eux, mais la sensation que ces toiles ont été peintes comme un aveugle tâtonne dans l’obscurité ; en balayant l’espace avec ses bras de gauche à droite, glissant le long d’une rampe, s’agrippant à un coude, virant et sautillant de plaisir à chaque singularités nouvelles, pour finir apaisé dans les moments de plénitude suave et gras qu’offre parfois l’huile quand elle est bien léchée. Ces maigres panoramas ne sont que nuances de textures finement nivelées et associées pour décrire le plus fidèlement possible l’étendue de l’expérience ductile offerte, qui par un poisson, qui par les nervures d’une table, ou encore par la peau d’un fruit mûr associée à celle de la céramique fraîchement sortie du réfrigérateur qui le contient. Dans cette exploration épidermique, les couleurs aussi ont un rôle, elles délimitent des moments plus ou moins suaves, plus ou moins secs que met à portée de main la bi-dimensionnalité cubiste ciselée par l’artiste.

Parfois, Braque peint de petites œuvres où l’on peut simplement rêvasser, telle la Nature morte au pichet et journal (le vase grec) 1928. Celle-ci est construite autour de nuances vert kiwi dans lesquelles la peau des citrons se reflète, jongle et fait pétiller la pénombre. Ainsi, et par la suite, la peinture devient pour Braque une façon de recréer des échanges de matière et de lumière, tantôt il les fige et les marquette, tantôt il les laisse glisser et s’étaler les uns aux cotés des autres, mais toujours un profond sentiment météorologique accompagne ces œuvres. L’adéquation entre elles et les différents moments du jour et de l’année est parfaite, on croque dedans avec le même réconfort que dans un fruit de saison.