Les tirages présentés dans la galerie Andrea Rosen sont de grands formats. Tous différents, ils sont comme à l’habitude du photographe, tirés, encadrés, et disposés aux murs en fonction de leurs caractéristiques propres ; tantôt suspendus, parfois contrecollés dans des boîtes, avec ou sans marges blanches, Wolfgang Tillmans refusant de conformer ses photographies à d’autres règles que celles qui les structurent de l’intérieur.

Dans cette multitude la diversité des sujets surprend. Non loin l’une de l’autre l’image quasi publicitaire d’un phare de voiture fait jeu égal avec la carcasse d’un crabe, un ciel étoilé dialogue avec des photographies parfaitement abstraites, on passe d’un document de safari en Afrique de l’Ouest à un portrait, d’une esthétique raffinée à un instantané et, plus loin encore, à l’absence de sujet. Les photographies abstraites sont marbrées comme des glaçages de mille-feuille que l’on aurait grossis à l’extrême. De bord à bord, elles sont envahies par la sensualité qui fait défaut aux autres images, plus pauvres mais qui, en retour, offrent au regard une acuité sur le réel, une possibilité d’enracinement qui contraste avec les rebonds où se perd l’onctueuse volupté qui enveloppe le regard quand il se pose sur les surfaces abstraites.

Ces ruptures, sans concession ni tour de force, obligent l’observateur à rester alerte. Wolfgang Tillmans ne se refuse ni à la séduction ni aux coups de matraque, mais il ne s’y attarde jamais, il demande de suivre ses déambulations, ses allées et venues dans l’image. Toute photographie est pour lui un choix, une case dans un échiquier gigantesque où il se déplace librement.

Dans une petite pièce au fond de la galerie, un mur est couvert de doubles-pages de photographies épinglées en rang serrés. Ces tirages ne sont nul autre que ceux que l’on trouve dans les livres. On voit encore dans la pliure qui les marque les trous d’agrafes associées deux à deux à espace régulier. On retrouve sur ces pages quelques-unes des photographies que l’on découvrait l’instant d’avant ; réduites et rigoureusement alignées, elles forment un index que l’on peut tout autant appréhender en tant qu’œuvre autonome que s’y reporter. Croisant une nouvelle fois les entrées narratives cette dernière œuvre rebat les cartes sans les redistribuer, laissant aux observateurs le loisir de le faire soi-même, chez soi, tout simplement en dépiautant un livre ou un catalogue et l’ordonnant à sa guise.