La visite de la rétrospective Hantaï au Centre Pompidou commence comme un cheminement, on découvre l’artiste tâtonnant entre matière et fluidité. Certaines toiles sont grossies par une volonté de faire gras, de faire palpable, d’autres glissent comme si elles étaient aspirées par la gravité. Une double tension qui trouvera une solution avec les pliages des Mariale. Chargés de rugosité les plis vallonnent et marquent les toiles d’une matière qui n’est pas celle de la peinture mais qui fait corps avec les fluides peints. Formes et couleur ne sont plus qu’un ; de près les surfaces semblent glacées, de loin elles se déploient comme des nuées de papillons, d’intenses envolées brouillonnes et exaltantes, belles comme du papier cadeau un matin de 25 décembre. L’artiste atteint ici un degré d’unité qui n’existe par ailleurs que dans les bas-reliefs de Phidias du Parthénon.

Dans les Catamurons et les Panses les formes deviennent plus organiques. Elles se découpent des bordures de la toile, s’en détachent, mues par une lente ébullition, encore timide, un peu raide et frustre la toile est pareille à des morceaux de dentelle jaunie et fatiguée par trop de temps passé entre une lampe et un guéridon. Mais petit à petit la peinture prend son autonomie vis-à-vis de la surface.

Puis viennent les Meuns, où les formes continues à se détacher dans l’espace. Elle avancent vers le spectateur aussi souplement que les bulles d’eau gazeuse promettent une digestion légère en s’évanouissant dans l’œsophage après un repas trop chargé. La couleur devenue dynamique évolue avec grâce, l’artiste l’a totalement libérée de la membrane qui l’enserrait dans les séries précédentes. On a alors l’impression qu’elle est en suspension dans un œuf, maintenue dans un liquide amniotique ample et infini où elle ondule aussi paisiblement qu’une portée de poissons rouges dans un bocal dont on vient de changer l’eau.

D’inventivité en simplicité Hantaï développe sa technique avançant avec aisance série après série pour parvenir aux Tabula. Dans ce presque ultime ensemble l’acte prend une dimension manuelle forte. L’artiste s’astreint à quadriller ses toiles de centaines de nœuds afin d’obtenir une régularité qui, bien qu’opérée à l’aveuglette, donnent un résultat attendu et ordonné. Au travers de cet acte antique proche de celui des ravaudeurs de filets, Hantaï réduit au minium la peinture dans son activité et s’engage dans une contrainte physique, répétitive, presque ingrate qui prend l’essentiel de son temps. Le résultat est à la hauteur de ses efforts, lorsqu’il déplie ses immenses toiles, qu’il les défroisse, leurs rendant ampleur en faisant pénétrer la lumière dans les lacunes entre les carreaux de couleur, Hantaï réalise un geste primordial aussi simple et intense que la séparation des eaux et du ciel dans la genèse.

Ces transformations, cet épanouissement a-t-on envie de dire, s’achèvent bien des années avant la mort de l’artiste. À bout de force, parvenu au terme de son cheminement il décide d’arrêter, de ne pas aller plus loin, résigné à accepter la fin venue.