Une palissade de bois bon marché cache la vitrine de la Galerie Jocelyn Wolff. Elle en cache l’entrée et crée un petit chemin qui invite le visiteur dans l’envers d’un décor qu’il ne soupçonnait pas. Cette installation « cache misère » de Guillaume Leblon fonctionne comme un sas. Sans être étroit, le passage rapproche immédiatement l’observateur de l’objet, incertain d’ailleurs qu’il s’agisse vraiment là d’une œuvre ; il peut laisser glisser ses mains le long des planches de bois non dégrossies, jouer du bout du pied avec le morceau de tuyaux jaune enroulé dans un coin, s’amuser du vieil étendoir à linge, et s’arrêter, sceptique, devant le robinet grossièrement modelé que l’artiste a disposé au fond du cul-de-sac. La joie de ces modestes découvertes rappelle l’anxiété curieuse qui pousse les enfants à pénétrer derrière les échafaudages de ravalement de façade. Ces intrusions n’étant pas motivées par l’interdit et le danger, mais par la découverte d’un silence intime et délaissé qui n’existe que dans ces endroits qui servent autant de stockage que de passage.

À l’intérieur de la galerie, une silhouette filiforme, complètement recouverte de sable et de débris de coquillages attend, allongée sur un matelas de mousse jaune pâle, que le soleil veuille bien se lever. En prévision de ce moment, elle abrite sa tête sous un livre. Or, il n’arrivera pas puisque les fenêtres sont obstruées. Sous la lecture abandonnée la plage est pauvre, le sable blanc, le vent implacable, le matelas miséreux. Pourtant, cette forme n’est pas pathétique. Son visage est caché, et dans cette ombre elle songe aux mois d’août, aux frites chaudes, aux claquettes de piscine, à l’asphalte qui brûle, au sel qui tire la peau et s’hérisse en une fine pellicule cristallisée qui lui donne le goût si particulier qu’a l’amour en été.

On trouve aussi trois autres empreintes. Celles-ci sont en plâtre et disposées verticalement. Sur chacune, un ou plusieurs textiles ont laissé prisonniers quelques lambeaux de mailles, colorant ainsi légèrement la surface. L’inventaire de ces prises dans la masse comporte, entre autres, une pile de journaux, un trognon de pomme, un foulard, un bleu de travail, un blouson. Tout autour, de petites marques, des repères, des griffures semblent indiquer un usage momentané à ces empreintes. Les pauvres trésors qu’elles font apparaître sont semblables à ce que l’on trouve parfois quand les pouvoirs publics font éventrer pour travaux une rue là où elle avait autrefois déjà été ouverte. S’en extraient vieilles canettes, mégots et paquets de cigarette fanés, toute une vie de chantier abandonnée qui ressurgie comme par miracle.