Quelles que soient les apparences, Fanny Châlot ne tourne pas de vidéo. Et pourtant, en s’asseyant sur le banc qui fait face à Mundus, la pièce conçue pour l’exposition Meltem au Palais de Tokyo, le dispositif semble indiquer aux observateurs qu’il leur suffit de prendre place, d’observer, jeter un œil au cartel, s’enquérir de la durée de l’œuvre, et s’extraire du bruit ambiant pour regarder. Mais dans son travail, l’écran, la projection, les images qui se meuvent, ne sont que les signes d’une réalité, qui n’a que faire de ces contingences.

Et que voit-on ? Une émission lumineuse posée sur un plan incliné d’aggloméré brut qu’elle anime de halots colorés, sans jamais le remplir totalement. La lumière s’y éveille à la manière des rayons du soleil qui passent par poignées au travers des paupières encore closes les matins de grasse matinée. Ce dévoilement, qu’atténue le grand jour dans lequel l’œuvre est plongée, nous pousse à plisser les yeux ; on tente d’y reconnaître des phares, le sentiment d’une route en pleine nuit, chargée de voitures roulant en ligne droite ; on s’imagine dans celle de nos parents, eux discutant, et soi-même à moitié endormi entre frères et sœurs, observant au travers du pare-brise arrière l’inexorable avancée des autres véhicules, tous lancés dans le faisceau autoroutier comme des perles dans un boulier, battant une voluptueuse cadence à mesure qu’elles approchent, s’éloignent et se croisent.

Ce défilement, que la vidéo fait naître dans l’esprit de l’observateur plutôt qu’il l’y introduit, n’est pas immédiatement lisible, l’artiste met tout en œuvre pour se faire chevaucher l’évidence et le doute. Mais l’objet qui lui sert d’écrin, ouvert et plat comme une représentation du monde anté-galiléenne, lui, nous fait face insolemment. Avec son allure de barricade enfantine, de simple table renversée, au derrière de laquelle rien ne se cache, elle nous interdit la passivité ; et pourtant, si l’on se lève et s’approche, tout disparaît ; il nous faut nous rasseoir. Il faut prendre, de loin, le temps d’observer ce pan de peu ; qui n’est pas un miroir, pas même recyclé, ce mundus où l’on met ce que l’on peut et qui n’est guère plus que ce que l’on a.