Un air de déjà vu flotte dans l’exposition de Jan Fabre à la Galerie Templon. Les sculptures en marbre blanc qui y sont présentées ont toutes en commun de renvoyer aux dessins de l’artiste. Tout est là, iconographie, cruauté du naturaliste, étrangeté de la chair recouverte d’insectes dévoreurs de mort, absence de violence, tout sauf l’agilité de la main de l’artiste. La majorité des œuvres comprennent un papillon. Leurs ailes tendues en l’air sont raides et plates comme des gaufrettes industrielles, autant dire assez éloignées de la souplesse et de la légèreté des lépidoptères. De même, les circonvolutions des cerveaux sur lesquels ils sont fréquemment posés sont gonflées pareilles à de la tuyauterie pour sapeur-pompier. Aucune tromperie ni surprise, ces Gisants ont été produits mécaniquement. La sensualité à laquelle les observateurs assidus de l’artiste sont habitués est remplacée par une dureté qui en déplace le plaisir de manière agaçante mais pas tout à fait stérile.

Deux gisants se détachent du lot par leur taille importante. Contrairement aux autres œuvres, petits reliquaires qui ne figurent que le cerveau de l’être enterré, ces deux ci présentent des corps entiers. La première est un Hommage à Elizabeth Caroline Crosby, neuro-anatomiste américaine. Son corps nu repose sur un matelas mi tissu mi viscéral. Elle est entièrement drapée par un voile fin qui laisse apparaître la vieillesse de ses membres tout en en cachant les outrages. De la façon dont il est tendu, ce voile s’apparente à une mue, il a l’air d’une peau devenue trop ample pour elle mais dont on ne l’aurait pas ôtée par pudeur. La sculpture est parcourue d’insectes. On y trouve les scarabées bien aimés de Fabre, un papillon posé sur son visage, des vers et une poignée de mouches ou d’abeilles ; nuance qui prend son importance selon que l’on choisit d’interpréter leur présence comme le signe d’un dernier hommage, ou comme l’amorce du long ballet durant lequel ils festoieront ensemble.

Son pendant est un hommage à un autre scientifique, le biologiste et zoologiste autrichien Konrad Zacharias Lorenz. Lui est représenté dans un cercueil dont la partie haute est ouverte de sorte à permettre aux visiteurs de voir son visage. Il a les traits doux, proches de ceux de l’artiste. C’est par cette ressemblance que l’œuvre se rapproche de nous, en montant sur la pointe des pieds on peut percevoir les paupières closes de l’homme que son souffle éteint attendrit irrémédiablement.