Les Inconnus dans la maison est un projet sans autre fin que de proposer un surplus d’œuvres en contournant les soucis de corpus et les entraves géographiques ; une seule limite à cette démarche, que les travaux exposés soient choisis au sein de collections publiques. La différence avec les espaces d’exposition temporaires ? Peut-être une plus ample et plus rapide rotation.

La première moisson occupe le patio. Deux œuvres murales s’y font face, d’un côté Chenonceau Rennes de Loïc Raguenes, et de l’autre Pierre de Guillaume Pinard. De part et d’autre, chacun s’est étendu autant que possible. Le mur de gauche est rempli d’un nuage de points bleus et rouges superposés deux à deux. Au centre de ce nuage, l’artiste a disposé un petit tableau tramé, parfaitement illisible de près. Le mur de droite sert de support à une copie au fusain d’une nature morte issue des réserves du musée. Outre leurs dimensions similaires, ces deux œuvres sont reliées par les pas des visiteurs. Il n’y a pas de meilleure façon de les appréhender que de multiplier les allers et retours. En alternant vues d’ensemble et détails, les images apparaissent et disparaissent, se dilatent et se rétractent, s’imposent et se fondent dans le paysage ; ainsi le château de Chenonceau de Raguenes répond au panier de fruits de Pinard en un savoureux duel de ping-pong où le visiteur fait office de balle.

Sur le mur qui les sépare, cinq briques rouges ont été attachées de sorte à ressembler à un modèle réduit du travail de Donald Judd. Les unes sous les autres, elles reprennent la rythmique des Stack. Sauf que les Bricks de Didier Marcel ne sont que de pauvres petits parallélépipèdes usés jusqu’à la corde, crevassés au point d’être devenus inutilisables à toutes fins de maçonnerie. De plus, ajoutant une délectable pointe de misérabilisme, l’artiste a collé une mousse synthétique blanche sur les faces supérieures des briques, simulant ainsi un dépôt de neige immaculé et poudreux, comme dans un conte d’Andersen. Le minimalisme devenu vieux s’achemine lentement dans sa dernière nuit côte à côte avec la petite vendeuse d’allumettes.

Autre forme usée mais bien moins drôle, les billots de bouchers que John Cornu a récupérés pour réaliser La mort dans l’âme. L’artiste les a recouverts de cirage noir de sorte à unifier leurs six faces en une même matière lisse, grasse et mâte. Ils sont posés à même le sol, massifs et lourds des milliers de coups de hachoir qu’ils ont reçus. Ce martelage les a lentement creusés, façonnant une surface ondulante, presque aléatoire et pourtant parfaitement équilibrée. En les voyant on songe à Michel-Ange, à qui l’on attribue l’affirmation selon laquelle ses sculptures préexistaient aux coups de burin, qu’elles étaient enfermées dans la pierre, et que lui n’avait fait que les mettre à jour. Il en va de même de ces blocs de bois, en leur cœur dépositaire d’une forme unique, mise à nue par le travail du boucher sur la viande.