Sans surprise, les photographies de Liu Bolin que présente la Galerie Paris Beijing demandent aux observateurs de se pencher pour y voir l’artiste. Sa technique est bien connue. Il y a un fond, qui peut être rapproché ou étagé, sobre ou multicolore, devant lequel il se positionne, les bras le long du corps, le visage droit, les yeux fermés, habillé d’amples vêtements ; il ne fait rien d’autre qu’attendre le regard de ceux qui s’arrêteront en passant.

Préalablement, l’artiste se fait recouvrir de peinture. Fondu sous les coups de pinceaux de ses assistants, il disparaît dans le paysage derrière lui. Ce derrière n’est jamais choisi de manière anodine. Souvent urbain, il porte la charge d’une lecture politique et sociale. Ce sont des villes, des rues et des maisons, comme ce fut – dans les premières photographies qu’il prit dans le cadre de ce processus – son propre atelier, en cours de démolition par les autorités municipales. Pour Liu Bolin, cette destruction fut l’acte fondateur de cet engagement. Du moins, c’est ce que raconte la légende. La petite histoire est plaisante, mais disparait dans la reproduction du procédé. Car par cette répétition, en superposant l’invisible au visible, les images se mettent à adhérer à l’actualité, l’inertie de la figure humaine souligne le mouvement du paysage derrière. C’est toute la complexité de la politique en Chine qui se retrouve dans ce travail. Les mots, les actes et les images ne s’articulent pas en ligne droite, la véracité des dires est complexe, les non-dits encore plus. Ces photographies dénoncent en la singeant l’inadéquation de cette vérité officielle avec la réalité vécue par la population. Les rénovations urbaines brutales qui ne fabriquent que des lieux vides de vie, les chantiers à perte de vue, sont réinvestis par le corps de l’artiste, sans pour autant perturber visuellement le mécanisme des bulldozers. L’artiste n’empêche rien, il ne s’oppose pas, il se contente d’être présent là où toute immobilité semble avoir été chassée.

Ce processus, Liu Bolin le reproduit partout où la société en mouvement déplace sans consulter. La tâche est sans fin, et parfois autoreproductrice. L’image lessivée, même réinvestie, finie par se consommer ; et ce d’autant plus que, partant de l’effacement des Hommes dans la marchandisation, l’artiste devient lui-même producteur et marchand. Médiatiques, ces images sont politiques mais, en devenant œuvres, elles se fragilisent en ajoutant aux décors une dimension décorative supplémentaire.

Il convient alors de se méfier. Car c’est dans le soubresaut du doute que ce travail se révèle pleinement. Non pas pour ce qu’il montre, mais parce qu’il montre.