L’exposition commence comme une visite en anthropologie, on trouve des cartes murales, des textes explicatifs à foison, et une imposante armada de boucliers ocre, marron et rouges dispersés sur deux murs. Ceux-ci sont recouverts de signes constitués de petits points tous semblables à des grains de sable dispersés sur les étroits morceaux d’écorce dont ils sont fabriqués.

Dans la foulée, les textes se réduisent aux cartels, la lumière s’amplifie et laisse toute la place aux œuvres. On change de domaine. De ces peintures – indifféremment réalisées à partir de pigments naturels, d’acrylique ou de peinture industrielle – pas une seule n’a la forme d’un quadrilatère. La plus part sont peintes sur de pauvres morceaux de contreplaqué, que l’on imagine aisément avoir été récupérés plutôt qu’achetés. Leurs bords irréguliers interfèrent et jouent avec les signes qui y sont peints. Ces signes, on nous dit qu’ils représentent les lieux de rêves. Ils forment des cartes dont les symboles donnent souvenir aux déplacements séculaires ou forcés effectués par les tribus et familles aborigènes.

Le parcours de l’exposition tente de construire une cohérence pour l’observateur, les peintres sont regroupés autour de l’histoire qui les lie. De même, ils sont associés en fonction de leurs origines géographiques, de leurs histoires personnelles, et de l’implacable destinée qui les a poussés, à partir des années 1960-70, à se regrouper pour créer ensemble une tradition peinte et pérenne dans un monde dominé par le matérialisme des Blancs. Car cette épopée est autant celle d’une émancipation artistique que culturelle et sociale. C’est toute la vie parallèle des peuples premiers d’Australie qui prend forme dans ces toutes petites peintures aux noms animaliers et chamaniques.

On comprend alors, qu’en même temps que les rituels se muent en représentation du rituel, l’inexistence de ces peuples aux yeux des Australiens s’est muée en singularités. Et en même temps que la peinture sanctionne leur sédentarisation, le sable, les écorces et les corps sont remplacés par des morceaux de poussière de bois agglomérée. C’est sur les déchets de la société qui a si longtemps nié leur existence que les artistes aborigènes ont développé les mots pour répondre à l’injustice qui leur était faite.

Cette injustice est aujourd’hui renvoyée à la face des visiteurs de l’exposition. Ils ne peuvent être que les dupes de ces œuvres créées pour que soit rendue visible la réalité d’un peuple qui meurt définitivement en passant de la mémoire aux supports de la mémoire.