Si la question pouvait être posée ainsi, Donelle Woolford aurait bien été appropriationiste. Pour l’exposition qu’elle présente à la Galerie Chez Valentin, elle choisit d’ailleurs de le faire. Après tout, même l’acte d’appropriation peut être approprié. Et puisque l’occasion se présente, l’artiste prend en charge une œuvre qui n’est pas celle d’un autre, mais celles d’autres. Elle devient Richard Pr., ce qui signifie qu’elle est à la fois dans la moelle de Richard Prince et de Richard Pryor, les deux noms qui viennent spontanément et délibérément à l’esprit lorsque l’on tente de compléter les initiales Pr. Mais, plus largement, il s’agit aussi de tous les Richard Pr., les dizaines et les dizaines de Richard Pr. que l’on trouve dans les diverses versions des pages blanches.

Des deux Richard célèbres, elle accapare le goût des blagues. Les Jokes, plus ou moins drôles du premier, sont maniées avec le style plus raturé du second. L’un et l’autre sont présents au travers de l’image de l’Amérique qu’ils véhiculent. Une image qui agit comme une mise en route, chargée d’allant et de goût pour la dérision.

Ainsi, ce travail fonctionne à la manière d’une mise en abyme. La mise en abyme de l’emprunt de la blague, lui-même emprunté à tous ceux qui tiennent une blague d’une autre bouche, elle aussi reprise et répétée à l’envie, sans que l’on sache d’où elle vient ; et puis surtout, qu’importe, puisque seul ceux qui se font entendre se partagent la paternité de ce qui est entendu. Progressivement, il apparaît que le mécanisme en œuvre dans ce travail ratisse encore plus large qu’on ne l’avait envisagé initialement. L’œuvre devient une métaphore de la création artistique tout entière. Donelle Woolford concentre tous les syndromes de l’hyper personnalisation de l’appartenance à la masse. Dans ce travail elle devient d’autres et, par là même, elle affirme ses spécificités, spécificités qu’elle doit inscrire parmi les balises d’une forme artistique déjà bien connue, mais qui, au travers de son action, se renouvelle et réinjecte, encore une fois, du même dans le pareil au même : autrement dit, elle extirpe du soi en d’autres.

Tout le plaisir de l’exposition repose dans cet enchaînement, ce mouvement perpétuel, qu’en tant que visiteur – si l’on en connaît suffisamment bien les rouages – il est possible d’actionner et de faire tourner, presque, juste pour le plaisir des yeux. Plaisir, qui peut véritablement devenir rétinien, en l’exerçant chez soi – pour les plus bricoleurs – par l’association d’une Roue de bicyclette sur un tabouret ou, pour les autres, par l’acquisition d’un hamster équipé.