Les photographies que Ziad Antar présente à la Galerie Almine Rech ont été prises sur des pellicules périmées depuis 1976. Il en découle que les images qui en sont issues sont couvertes d’une peau lépreuse qui gêne leur lecture quand elle ne l’empêche pas tout simplement. Si certaines sont plus atteintes que d’autres, plusieurs de ces clichés sont chargés de poésie. Le voile agit parfois avec justesse, comme quand la surface de la photographie se voit recouverte d’une pluie d’étincelles tombant sur le profil d’un homme, lui donnant un air solennel. L’image anodine devient alors exceptionnelle, presque miraculeuse, tant on se dit que l’effet du hasard nous révèle ce qui serait passé par pertes et profits dans ce travail aux sujets et aux cadrages totalement galvaudés.

Or, galvaudés, ces sujets le sont pleinement, l’artiste les a choisis pour cette raison. Ces séries, qui débutent et prennent fin avec les pellicules, sont de véritables tours du monde des sujets périmés. On rencontre aussi bien la Tour de Londres que sa cousine Burj Khalifa à Dubaï, les pyramides de Gizeh que les ponts de New-York. Les sujets touristiques voisinent les uns avec les autres, et sont parfois intercalés d’images exotiques, voire pire, complètement néocolonialistes. Plus on s’enfonce dans ce travail, plus on est pris de malaise. La joie au petit bonheur la chance que l’on ressentait au début de la visite se transforme lentement, à mesure que l’on prend acte du réflexe stéréotypé que nous pouvons avoir sur ces images. Prise dans son ensemble, la démarche de Ziad Antar n’a rien à voir avec le contenu individuel des photographies qu’il réalise. Que ce soit Beyrouth ou Londres, des bâtiments célèbres ou d’autres en ruines, l’image est contaminée par la racine. Et c’est cette racine que l’artiste retrouve et met en exergue en utilisant ces anciennes pellicules. Non seulement, il rend physiquement visible la péremption des images mais, en plus, il se confronte aux mécanismes de contournement que les observateurs développent automatiquement face à ces images.

Il n’y a pourtant aucun piège dans ce travail. Le seul piège est celui que nous refermons sur nous-même en acceptant le règne cynique des stéréotypes. En un mot, l’œuvre devient admirable au moment où les photographies apparaissent pour elles-mêmes : affreuses.