L’exposition de Willem de Rooij à la Galerie Chantal Crousel est construite comme un questionnement sur les références. Dans ces travaux, l’artiste s’intéresse au tissage et à la coloration des textiles selon les techniques traditionnelles d’Afrique de l’Ouest. Techniques dont les usages sont dérivés de l’introduction de savoir-faire européens. L’artiste, qui n’a voulu travailler que sur le matériau pur, le tissage, importe malgré lui tout un imaginaire. Les grandes étendues monochromes qui résultent de ce travail laissent d’emblée de côté toute forme de représentation ; pourtant, elles sont pleines de références. Impossible de ne pas ressentir ce petit air d’exotisme que l’on perçoit face à ces coloris bleus si caractéristiques des marchés africains ; impossible aussi de ne pas y reconnaître la mise au carré héritée de l’art européen dans l’espace strict et blanc de la galerie.

Deux grands panneaux occupent la salle d’entrée : l’un est posé au mur, l’autre au sol. Le premier est noir, d’un noir léger, presque imperceptible, tremblant entre sa couleur et le sentiment inverse. Le second est bleu, un bleu balayé, allant du clair au foncé via des strates délayées. Fenêtre sur le monde, océan de couleur orthogonal, ces deux œuvres de grandes dimensions nous tirent vers l’Occident.

Trois autres toiles sont présentées à part. Plus petites, et de formats carrés, elles sont tissées d’une trame épaisse. Chacune d’une épaisseur différente, et d’une profondeur de teinte propre. Plus rustiques, aussi, elles affirment plus sensiblement leur dimension tactile. Même si l’on est loin de la toile de jute, ces œuvres portent sur elles une matérialité plus affirmée, quelque chose d’ancien, de moins évanescent ; de plus musical aussi. Étrangement, toutes les références à l’Afrique réapparaissent à l’esprit, avec en arrière-plan toute une lecture postcoloniale. Décidemment, la neutralité du matériau est ici une drôle d’idée.