L’art contemporain en Ile-de-France est un esquimau bi-goût ; côte à côte, et uniquement séparés par l’étroite ligne du périphérique, l’art à Paris et l’art en banlieue se font face. Comme souvent, avec les sucreries industrielles, la différence tient plus à la couleur qu’au goût. Et pourtant, le voyage ne se fait pas sans quelques appréhensions. Outre-Forêt s’appuie sur ce constat.

La première œuvre que l’on découvre est celle de Ludovic Sauvage. À l’image du geste que propose et revendique l’exposition, Vallées est une installation à traverser. Elle consiste en une double projection de diapositives se chevauchant au mur, une subtilité qui n’est pas évidente au premier regard et que l’on saisit uniquement en la franchissant. Sans cet acte, l’œuvre se résume à un paysage de campagne ne se distinguant par aucun élément, si non un air légèrement mélancolique dû à la dégradation des couleurs. Or, en obstruant ainsi l’une des deux projections, coupant l’image, on fait apparaître par soustraction l’autre diapositive. Puis, un mètre plus loin, le mécanisme s’inverse et l’on découvre la seconde image. Le plus troublant est que l’on ne s’imaginait pas un seul instant que la projection ait pu être constituée de deux images distinctes. C’est seulement au travers de l’épreuve physique de l’œuvre que l’on comprend sa dualité. Les images que l’on découvre n’ont en elles-mêmes rien de spectaculaire, aucune surprise ne nous attend dans leur contenu, rien n’était caché, et pourtant, la première image de l’œuvre était fausse, aussi fausse qu’un vieux souvenir.

Plus loin, on découvre un polyèdre blanc posé au sol. C’est la partie visible d’Hexagones/Adventices de Matthieu Clainchard. Sur le sol en béton abîmé du 6b, il a l’air d’un pur produit artistique, son formalisme et sa finition léchée rappelant à l’envie, une soucoupe volante ou un pouf magrébin. On pourrait s’en tenir là. Mais au pied de l’objet, un brin d’herbe semble s’être fait une place. En regardant bien, les quelques fissures qui serpentent dans la pièce accueillent de temps à autres d’autres brins d’herbes. Et puis quelques petites fleurs jaunes, et toute une flore d’arrêt de bus, de mauvaises graines et de pousses revêches. Elles tracent au sol une improbable droite, peu perceptible mais rectiligne, partant de l’objet blanc et se dirigeant vers la sortie de secours à l’autre bout de la pièce. Cette verdure qui fait partie intégrante de l’œuvre de Matthieu Clainchard a parfois été piétinée, mais qu’importe puisqu’elle est en plastique – qu’importe aussi parce que cette ligne est autant là pour être franchie que pour être cultivée.