De prime abord, de par leurs dimensions, les dessins de Samuel Martin n’ont rien de spectaculaires, au contraire, ils ont la taille de l’intimité. Première impression corroborée par l’amusante nonchalance des groupes de jeunes gens nus qui posent pour l’artiste. Les scènes évoquent les vacances, la plage, la bonne humeur et le soleil, un couple danse, d’autres posent frontalement, une femme montre fièrement la peinture qu’elle est en train d’esquisser, on gambade, on crâne, on s’amuse. Certains visages sont légèrement crispés, juste ce qu’il faut pour indiquer la connivence entre l’artiste et ses modèles. On se dit qu’à l’instant d’après tous ont éclaté de rire.

Le reste des dessins, l’environnement où se donnent à voir les personnages, est tout autre. Des maisons brûlent, des voitures ont été renversées, ces moments de rigolades sont en fait entourés de catastrophes.

Dans Yes futur – 8, cinq personnages participent à cette étrange mise en scène. Ils nous font face, nus et animés par un léger swing, l’un d’entre eux tient une guitare, les autres claquent des doigts. Nul ne s’enquiert du bus ravagé et du paysage désolé qui les entourent. Comme dans les autres œuvres de cette série, les corps sont offerts avec autant de simplicité et de naïveté que le désastre tout autour est dépeint avec la minutie d’un journal télévisé. L’ironie est à son comble, et pourtant la résistance qu’oppose le petit groupe est réjouissante. Elle l’est d’autant plus qu’elle peut être comprise dans une filiation plus large. En effet, la composition, et divers éléments de cette œuvre, la lie avec Large Interior W11 (after Watteau) de Lucian Freud, et donc avec le Pierrot content de Watteau qui en inspira la création. On retrouve le même plan large sur un groupe de personnes, les mêmes jeux de regards qui ne se croisent pas, la même impression de lassitude malgré la musique qui semble égayer l’instant. Chez Watteau, tout peut encore arriver, Pierrot est content. Chez Freud, le désœuvrement a atteint les protagonistes, l’intérieur est vétuste, le temps a passé. Chez Samuel Martin, c’est un ouragan qui est passé par là, mais il est désormais derrière. D’une œuvre à l’autre, les personnages n’ont guère bougé, ils ont beau être nu, patauger dans la gadoue, ils n’en restent pas moins les symboles du spectacle qui continue pour nous tous les matins.