C’est dire si Mika Rottenberg n’est pas dérangée par les étrangetés, au contraire elle s’en saisi avec avidité pour construire son œuvre. Pour ce faire, elle s’entoure de personnages extraordinaires, presque monstrueux, des hommes et des femmes à la lisière du phénomène de foire et du cas pathologique, mais tous à leur manière lui permettent d’incarner réellement son travail. Les corps, leurs extravagances et leurs sécrétions sont au cœur de cet intérêt : sueur, larmes, éternuements, salive, ongles, font office de matières premières.

Dans ses vidéos comme dans ses installations elle construit une narration circulaire. Mary’s Cherries suit toutes les étapes d’un cycle de production de cerises un peu particulières. Deux protagonistes obèses, pomponnées et dûment maquillées s’affairent à la production de cerises. La première a pour tâche de transférer à la seconde ses ongles, après les avoir soigneusement vernis et découpés ; sa collègue est, elle, en charge de les malaxer et de leurs donner la forme et l’aspect d’un fruit. La vidéo tourne en boucle, et le laborieux processus ne semble avoir d’autres fins que d’appuyer le caractère indépassable et presque insurmontable de ces vies mises en scène. Pourtant, l’empressement minutieux et la bonne humeur qui se dégage de ce travail à la chaîne fait sourire. Ces deux femmes ont l’air parfaitement heureuses de leurs occupations, elles s’en acquittent gaiement, et chaque fruit qui vient s’ajouter aux précédents ajoutent à la sympathie que nous leurs portons. Après tout, l’extrême lenteur du rythme de leur production nous éloigne du risque de les voir un jour arriver dans nos assiettes.

Dans Tropical Breeze, les choses sont un peu plus délicates. La vidéo décrit toutes les étapes de production, aussi improbables que dégoutantes, de mouchoirs en papier parfumés au jus de citron. Le travail a lieu dans un camion, le chauffeur, une bodybuildeuse, sue à grosses gouttes ; cette sueur – imprégnée du jus de citron qu’elle consomme en même temps qu’elle conduit – est épongée et récupérée dans des mouchoirs en papier qu’une contorsionniste range méticuleusement dans des boîtes. Il s’agit de dizaines et de dizaines de boîtes pareilles à celles que nous utilisons tous. L’arrière du camion en est complètement saturé, et ces mêmes boîtes le visiteur les retrouve autour de lui, puisqu’elles font partie de l’installation. Il n’aurait qu’à en ouvrir une pour profiter de leur fraîcheur citronnée.

Ces œuvres sont irréelles de part leur extravagance, du moins à première vue. Mais à bien y regarder, la seule chose qui sépare vraiment ces personnages de nous, observateurs, est leurs in-conformités, tout le reste, leur asservissement, l’absurdité de leurs occupations, le cycle infini de production, tout cela n’est rien d’autre que l’image raccourcie de nos vies.