Une aquarelle préparée au crayon rehaussée de gouache dépeint une ferme, le ciel est bas, écrasé par d’immenses nuages bordés de blanc ; l’ensemble est contrasté, la végétation laissée à l’état sauvage s’oppose aux toits de chaume et aux colombages qui structurent la composition de leurs quadrillages. La Normandie de carte postale est probablement née sous le pinceau d’Eugène Isabey. Au premier coup d’œil dans l’espace, on se dit que c’est elle que le musée du Louvre a décidé de mettre en avant, le stéréotype est des plus tenaces. Et pourtant, l’exposition n’est pas sans révéler quelques surprises de taille.

La première se rencontre au début de l’accrochage. Port au pied de hautes falaises représente un petit havre ou quelques barques de pêcheurs sont amarrées à une falaise rocheuse, de nombreuses silhouettes s’affairent, débarquent, draguent et transportent. C’est la nuit, pas une pupille ne brille, le labeur est silencieux et consciencieux. L’artiste, par un habille travail au grattoir, fait émerger toute cette activité d’un lavis profondément noir. La lumière qu’il trace glisse comme un fil le long des arrêtes rocheuses et des courants marins. C’est un peu comme si, pour commencer, Isabey nous montrait l’envers du décor, ce moment bien trop matinal pour que les peintres puissent le capturer. Une façon de nous mettre en confiance.

Le reste de l’exposition est principalement constitué d’un grand ensemble d’aquarelles gouachées dépeignant toutes les ficelles pittoresques des côtes normandes et bretonnes. Le romantisme n’y est pas trop appuyé, l’artiste fait partie des tous premiers métropolitains à s’aventurer aussi loin. La nature qu’il dépeint est celle que l’on retrouvera partout par la suite, elle est un face à face triangulaire entre ciel, terre et mer. Les vagues se renversent, les barques patientent sur les plages, et inexorablement, l’océan mange les falaises que l’on ne se lasse pas de comparer à de la dentelle. À cela s’ajoutent quelques fermes à Etretat, vertes, basses et ventrues, ainsi qu’une suite de dessins sur la ville de Vitré. Celle-ci apparaît comme une carapace de toitures écaillées où serpentent des ruelles insalubres et vides. Tout y est de guingois, tout semble sur le point de s’effondrer, et pourtant rien ne bouge dans ce désert médiéval.

On connait la chanson.

Une salle regroupe des carnets de croquis. Sur l’un d’entre eux, deux Études pour une scène de naufrage superposée sur une même page attirent l’attention. Le tourbillon de graphite quasi abstrait, les élans du crayon dont les appuis signent la vivacité de l’artiste, donnent à ces deux esquisses une force abstraite étonnante étant donné leurs petites tailles. Isabey y représente une embarcation que l’on devine sous un déluge de vagues qu’il figure par des sacs de nœuds, gras, vifs et tendus. La mer les enveloppe et les recrache. Ces dessins sont brefs, peu bavards et résolument hors anecdote. Qu’importe que ce soit la Manche, qu’importe que ce soit au large de Saint-Malo, seule compte l’œuvre et le geste somptueux de l’artiste qui dessine.