À la galerie Bugada & Cargnel, Etienne Chambaud propose un safari, une excursion d’opérette pour aventuriers et familiers de cartes exotiques. Undercuts rassemble une dizaine d’œuvres que l’artiste nomme Contre-Dépouilles. Elles sont constituées de peaux de bêtes tendues et accrochées aux murs comme autant de trophées, gris et fauves. Au centre de la salle, sous la verrière, il a suspendu Soleil Inscrit, une sphère de terre cuite, que l’on pourrait croire inerte et vierge. Pourtant, à l’intérieur, une ampoule est allumée et brille. Le visiteur n’en a aucune preuve, on lui indique seulement que pour en avoir le cœur net, pour que l’ampoule l’éclaire réellement, il faudrait briser l’enveloppe de la lampe. Mais jusqu’à présent, personne n’a osé lever la main.

Aux murs, les peaux sont présentées retournées ; on n’y voit aucun pelage, mais de nombreuses zébrures et marques de tannage. Les surfaces pleines de plis ont l’air d’avoir été limées et rabotées ; par endroit elles ont été reprises, de grosses coutures rapiècent les peaux dont on devine qu’elles ont dû être trop souvent maltraitées, et pour finir, transpercées. En observant ces rectangles, on aurait envie de se croire entouré des reliques glorieuses de scènes de chasses mythiques, l’homme et la nature confrontés en un épique face à face. Mais nous sommes dans une galerie d’art, et ces animaux n’ont pas été naturalisés : ils ont les yeux dans les coins, et ne sont plus qu’un croisement entre une ascèse minimaliste et un geste matiériste. Le face à face est bien plus ethnographique et culturel qu’héroïque et sauvage. Le visiteur est dans un zoo, et le zoo est une savane orthogonale.

Dans l’entrée, ce qui s’apparente à un cordon de sécurité particulièrement abîmé barre la route, il barre l’entrée comme il barre la sortie. Il a l’air d’avoir été tressé comme une corde de cuir : en fait, elle ressemble au fouet d’Indiana Jones. Cette Contre-dépouille n’est autre qu’une peau de serpent, une longue et vieille peau mollement tendue entre deux pieds métalliques identiques à tous ceux que l’on peut voir à Cannes, dans les grands magasins, ou dans les musées. Ici, l’aventurier a été recyclé en gardien de salle ; de la savane au zoo et du zoo au musée il n’y a qu’un pas, un pas en arrière que l’artiste nous fait franchir et qu’il sait boulversant.