Que s’est-il passé entre 1970 et 1990 en Grande Bretagne ? Le titre de l’exposition du photographe britannique Chris Killip au BAL est sciemment provocant. Un instant on se demande si l’on ne s’est pas trompé quelque part, s’il ne s’agirait pas plutôt de reportage en zone de guerre ou quelques autres révolutions armées et sanglantes. Non, Chris Killip parle de l’anti Swinging London, de la désindustrialisation, de l’abandon et de la marginalisation de toute une classe sacrifiée au profit de la mondialisation de la finance. Et cela se passa en Europe, dans un pays en paix et prospère.

What happen est une précision, une mise en garde de l’artiste dont le travail ne raconte pas d’histoire, ne documente pas, ne vient prendre personne par la main pour lui tirer une larme, il sait que cela est vain. Ce qu’il montre n’est ni plus ni moins que son voyage dans la vie de ces gens et non pas ce que fut leur vie.

Dans ses titres, Killip ne s’autorise aucune fantaisie : ils sont descriptifs, aussi précis que possible. Dans les images, un peu de poésie mais rien de larmoyant, ni d’ironique, surtout pas d’ironie. Car toute l’horreur de l’Angleterre, sa misère, sa saleté est dans ses photographies. Pourtant, parfois les gens sourient comme dans Couple, dimanche de Pâques, Askam in Furness, Cumbria, mais, le plus souvent, les rues sont désertes et laissées aux enfants qui jouent dans ces paysages ras et délabrés. De-ci et de-là des déchets brûlent, traînent dans les landes, sur les bords de plages, ou dans les rues.

Presque plus rien n’est beau. On se croirait face à un reportage fait en Amazonie tant ces visages abasourdis par ce qu’il leur arrive sont éloignés de nous. Parfois, Chris Killips se surprend à composer un paysage, ils ponctuent l’exposition comme des lueurs d’espoir, mais ce sont les siennes, un peu les nôtres aussi, mais en aucun cas celle des personnes qui peuplent ces paysages. D’ailleurs, la plupart d’entre elles sont mortes de cette vie qui leur a brutalement été imposée.

À l’entrée de l’exposition sont accrochées côte-à-côté trois vues identiques de la ville de Tyneside. Ce sont trois mêmes cadrages, deux de 1975 et un de 1977. Dans le premier, des enfants dessinent à la craie devant un chantier naval, l’école doit être finie et les ouvriers ne sont pas encore rentrés de leur journée de labeur ; dans le second, le bateau a disparu et les rues sont recouvertes de neige, un premier tag est entre temps apparu ; dans le troisième, la cité a été détruite, les murs abattus, les toitures effondrées, partout s’entassent des gravas : il n’y aura plus de chantiers navals à Tyneside.