La question du paysage est essentielle à Eva Nielsen. Paysage mental, paysage physique, on ne sait jamais vraiment. C’est de cette question dont traite Man-Made.

L’artiste et commissaire y présente Elzevir. C’est un coin de bâtiment beige, un passage d’extérieur qui longe un rez-de-chaussée ; peut-être un édifice administratif, un lycée ou bien un centre de sécurité sociale, à la fois strict, moderne et fonctionnel. Celui-ci est bordé d’une rangée d’arbres maigres dont les branches tombent sur un ciel fade, ni bleu, ni gris. En dessous, tout le centre de la toile est occupé par un jeu de reflets et d’ombres sur le verre d’une large baie vitrée. En les voyant, on ne peut s’empêcher de penser aux longs printemps où, collégien, les heures de classe s’étiraient lentement à mesure que le soleil avançait sur le même type de fenêtres. Les reflets glissaient et le temps ne passait pas. Il ne passe pas non plus dans le tableau d’Eva Nielsen. Il nous arrête.

Plus loin, les petites peintures de Mireille Blanc sont telles des clignements d’yeux. La broderie épaisse que figure Coussin est formée de points qui ressemblent aux tessons irréguliers d’une mosaïque de salle de bain. Après un instant, on y devine une tête de chat, inexpressive et regardant dans le vide. La peinture n’en montre pas le contexte, mais l’on s’imagine immédiatement chez la grand-mère de l’artiste, l’une peignant, l’autre brodant. De même, Succession, un soulier féminin de couleur rose est juste ce qu’il faut vieillot pour être à la mode. Par sa forme, il évoque une certaine élégance, une cambrure vieille France, lointaine et quelque peu idéalisée, mais que le travail empâté de Mireille Blanc ravive et ramène à une forte dimension tactile.

Talisman de Chloé Dugit-Gros est une sculpture métallique accrochée verticalement au mur. Ce Talisman est trop gros pour entrer dans une poche, il n’est pas de ceux que l’on manipule du bout des doigts, c’est du regard que l’on doit le faire rouler. Sa forme, bien que toute simple, évoque de nombreux objet. De prime abord, cette structure plate et ramifiée comme l’arrête d’un poisson ressemble à un avion furtif. Ce qui lui donne un air légèrement menaçant. Le nez dirigé vers le bas, on a le sentiment qu’il va s’écraser. Pourtant, en réactualisant son regard, on peut aussi croire qu’il s’agit d’un morceau de treille et de son ombre au sol.

Il en va de même pour Digitale, une sorte de couronne de couleur cire posée au sol. Elle aussi multiplie les possibilités de lecture. Les images coexistent et défilent en s’articulant comme une cocotte en papier autour de laquelle on pourrait circuler. Un paysage, en somme.