Marrella Splendens est un animal marin ayant vécu il y a 500 millions d’années. Autant dire qu’il n’en reste pas grand-chose. L’exposition de Lionel Sabatté à la Galerie Patricia Dorfmann porte le nom de cet insecte aquatique autrefois vif et mou, aujourd’hui figé dans la pierre de schiste.

L’artiste développe sa vision de l’animal dans des peintures sur lesquelles il a fait passer des fluides légèrement granuleux. La surface des toiles est parcellée d’amas irréguliers et de trainées ramifiées, de ravines et de gorges minuscules qui forment un paysage lunaire, mi-peau mi-ruisseau. Ces légers bas-reliefs de glaires asséchées et de flux rétractés évoquent le destin pétrifié de Marella Splendens. L’image du fossile rejoint celle de l’animal mythologique. Il a disparu, mais il garde une trace physique, une présence qui continue à nous repousser.

En s’approchant un peu, on remarque que la surface des amas blancs qui constituent l’essentiel de la forme est constellée de petits points de couleurs. Petit à petit, ils se mettent à ressembler à des galaxies. Une sorte de cosmos sec et rétracté, fracturé de toute part, mais qui tout d’un coup devient beaucoup plus grand et qui nous happe.

La plupart des œuvres présentées dans cette exposition portent en elles cette ambivalence, et oscillent entre l’extrêmement petit et l’immensément grand. Ainsi, Drosphile et Ephemeroptera prennent corps dans de maigres morceaux de peaux séchées. Fragiles et translucides, elles demandent à ce que l’on se penche sur la vitrine qui les contient pour pouvoir les observer. Mais une fois le nez dessus, leur pouvoir répulsif se déploie et devient omniprésent. Elles remplissent alors toute la pièce de leur désagréable matière où la vue et le toucher se mêlent pour créer une curiosité dérangeante.

Ainsi, ce sont toutes nos intimités et toutes nos phobies que contient le travail de Lionel Sabatté. Les images englouties affleurent et les rebus de chair deviennent corps.