L’exposition Cima s’ouvre sur une vue gravée de Venise. La ville s’y déploie tortueuse et viscérale, presque identique à celle que nous connaissons aujourd’hui. Cette mise en contexte révèle son importance quand, prenant connaissance des œuvres de l’artiste, on réalise à quel point celui-ci est loin de nous. La ville est toujours là, mais le temps de Cima est révolu depuis longtemps.

Son art est celui du sacré, d’une religiosité ensoleillée et apaisé. Le premier retable qui nous est présenté, Vierge à l’Enfant entre Saint Jérôme et Saint Jacques l’apôtre, montre une scène d’une profonde introspection. Saint Jacques lit, Saint Jérôme nous regarde, la Vierge et l’Enfant trônent, abrités sous une tonnelle, graves mais paisibles, comme captés au cours d’une après-midi studieuse à la campagne.

Dans la salle suivante sont regroupées plusieurs Vierge à l’Enfant. L’artiste s’attarde longuement sur le visage des bébés. Tous sont différents, joufflus et bien portants. L’artiste les peint de manière très naturaliste, enveloppés du regard de leur mère attentive, sous une lumière pleine et apaisante. Cette même lumière que l’on retrouve dans toute l’œuvre de Cima et qui en caractérise l’atmosphère. Même quand il peint la Lamentation du Christ mort entre Saint François et Saint Bernardin, le ciel ne se voile que très lentement. Le filet de nuages gris souligné de blancs et d’orangés ne parvient pas à obscurcir la beauté du coucher de soleil qui occupe le fond du tableau.

Ailleurs, c’est la fraîcheur matinale des paysages qui frappe le visiteur. Saint Roch, Saint Sébastien et L’incrédulité de saint Thomas sont pris au petit matin sous un ciel presque blanc et légèrement humide. Leur gestuelle n’a rien de brusque, pas à un seul moment la surprise ne vient tendre leurs muscles. Nous somme ici face à une foi limpide où ni les chairs ni les fronts n’accusent de doute. Car ce n’est ni la gloire ni la persuasion que peint Cima, mais la simplicité d’une foi idéalement humaine. D’ailleurs les saints jouent un rôle prépondérant dans ces travaux, ces hommes et ces femmes, constamment présents, sont la nature de cette entreprise.

Pourtant, tout n’est pas si gai dans cette peinture ; le Christ couronné d’épines de la fin de l’exposition est incroyablement troublant de douleur. Ses yeux, aux contours rougis, annoncent ses limites humaines. L’artiste est à la fin de sa vie. Et Venise, dans les tableaux de ses successeurs, va se parer de milles richesses, milles chairs dévoilées. Ors et draperies, commerce et politique, autant de sujets que la droiture du maître de la Renaissance avait laissé de côté. Avec le xvie siècle, Venise va devenir celle que nous connaissons.