En entrant dans la galerie Anne Barrault une dizaine de portraits de pierre se mettent à nous dévisager. Les sourires en noir et blanc de ces notables romains, implacables et froids, ont été figés par les siècles. Les rides de leurs cous, leurs calvities éternelles et le naturel de leurs fronts plissés ne changerons plus. Ils sont tels qu’ils nous ont été laissés il y a de cela très longtemps. Par contre, leurs regards, eux, sont contemporains. Un œil, parfois les deux, ont été découpés par Odires Mlaszho et montés sur les photographies en faisant attention à faire parfaitement coïncider les traits. La supercherie est grossière et ne cherche pas à s’en cacher. Pourtant, plus on les observe, plus on se dit qu’après tout, ces yeux pourraient être les bons.

Au mur, une projection vidéo de Manuela Marques fait défiler à toute vitesse des couleurs acidulées. Elles virevoltent, voilées comme une pellicule qui aurait pris la lumière. Mais petit à petit, la prise de vue s’éclaircie et, la camera reculant, le champ s’élargit. On comprend que ces couleurs changeantes sont le fait d’un jouet enfantin qui tourne sur lui-même. Un de ces petits moulins à vent que l’on actionne en soufflant dessus, et qui ont cela de réjouissant que, pour autant qu’ils nous donnent le tournis, nous pouvons les faire cesser instantanément en arrêtant de souffler. Ce que l’on découvre derrière l’objet en rotation est le contour du visage d’un vieil homme. Lui-même se détache sur un fond de paysage urbain. La vidéo n’en montre pas plus ; déjà le zoom arrière s’inverse et nous ramène au flou éperdu du début.

Plus loin, Odires Mlaszho a accroché six diagrammes découpés et recomposés en accordéon. Ces dépliants sont peut-être des notices d’objets électroménagers, le détail de circuits électriques, des notices à l’attention de pères de famille. Parfaitement inutilisables, ces indications ressemblent à un programme inachevé, une partition annotées à la hâte et que l’on aurait oublié de retranscrire.

Deux photos de Manuela Marques leurs font face. Deux portraits, un homme et une femme, mais aucun ne montre de visage. Comme pour un bal, l’un est masqué par le museau empailleté d’un renard, tandis que l’autre, baissant la tête, se cache derrière la visière de sa casquette. Ici encore l’identité à disparue derrière le chatoiement des masques.