Inévitablement, l’exposition Degas et le nu commence sur les années d’Académie et de formation de l’artiste. Ces travaux d’apprentissage aboutissent sur Petites filles spartiates provoquant des garçons. Dans ce tableau on devine tout ce qui plus tard forgera la singularité du traitement des corps par Edgar Degas. Les membres, bras, jambes, et cous, sinueux et à l’expressivité exacerbée par des positions inconfortables à l’œil, serpentent dans des espaces colorés massifs. Les gestes sont souvent maladroits mais, de presque toutes les faiblesses de ce tableau, l’artiste finira par extraire ses forces futures.

De la même manière, la salle suivante expose dessins préparatoires autour d’une œuvre achevée : Scène de guerre au Moyen Âge. Tous les personnages ont le même type de corps, beaux et ronds, dans lesquels on sent bien que la douceur des modèles empiète sur le sujet. La salle d’après est l’exact contraire. Y sont rassemblés autour d’Intérieur, dit Le Viol, deux portraits de femmes au teint blafard. Les peaux grisâtres, pétrifiées et froides de ces deux petites études révèlent la cruauté de l’instant. Le sujet reprend violement le dessus.

À partir de ce point, Degas ne quittera plus des yeux la réalité sociale de ses modèles. Les nus s’épaississent, se dé-idéalisent, les postures sont celles de vies intimes et parfois cachées, à l’instar des monotypes réalisés dans des maisons closes. On y voit tout –  tout –,  sauf le sexe et la satisfaction des clients. À contrario, les chairs allant et venant dans la monotonie des murs et des couloirs, le poids du travail et des passes est plus présent que jamais. De là, les femmes – puisque de nu, il ne s’agira quasiment plus que de femmes –  s’étirent et s’affairent dans leurs intérieurs.

Avec le temps le pastel prend sa place parmi les dessins, et avec lui la couleur réchauffe progressivement les chambres, salons, et salles de bains, presque comme une solidarité. Viennent alors des représentations plus douces. Aux côtés de la baignoire l’observateur n’est plus un intrus, mais un invité en ces moments de douces préciosités aquatiques. Après le bain (femme nue couchée) et son pendant occasionnel Baigneuse allongée sur le sol, sont le parfait exemple de cette accalmie des mœurs. Les modèles sont allongées sur des tissus épais rendus au pastel gras et doux ; leurs visages barrés par un bras protecteur et langoureux, cache et dévoile en même temps.

C’est dans cette culmination que le travail bascule. Dans ses dernières années l’artiste se concentre sur la plasticité des formes, des couleurs et des textures. Elles deviennent un champ d’expérimentation libre et fiévreux. Le contexte disparait. Seuls restent les dos, les plis et la forme des seins.