La Galerie Yvon Lambert est devenue un apôtre du noir et blanc, tendance bien en vue dans l’art contemporain, à mi-chemin entre un mysticisme béat aux auréoles hollywoodiennes et une repentance franciscaine, stigmates et turgescence en avant. L’exposition de l’artiste mexicain Carlos Amorales fonctionne à plein dans cette veine.

La première salle de la galerie aligne, La langue des morts, une série de grands dessins en noir et blanc. Tous de même format – quinze en tout – à chaque fois parcourus de craquelures et de gestes de mains qui forment ensemble une petite chorégraphie nocturne. De l’un à l’autre on a le sentiment qu’ils sont les séquences d’un même mouvement, où l’artiste manipule un papier froissé ayant fait office de pochoir pour cette calligraphie de dentelle. Les traces des doigts glissants sur la surface mélangées aux fractures blanches pourraient raconter le calvaire d’un enterré vivant. La surface porte contre elle les traces des mains et des ongles qui se sont usées à son contact, et puis aussi le fracas de la délivrance, la planche qui cède contre les coups.

Dans la seconde salle sont suspendus au plafond des mobiles – conséquence de la résidence dont l’artiste a bénéficié à l’atelier Calder. Ils sont assez bas, mais vastes comme des saules pleureurs ; à chaque extrémité une timbale est suspendue, horizontale pour la plupart, verticalement pour les gongs. Des baguettes sont mises à disposition pour que les spectateurs s’en servent. Mais ainsi agencées, les timbales ont plus l’air de couvercles de cuisine que d’instruments de musique. Les couvercles d’une monstrueuse machine alimentaire, à la manière de celle que l’on découvre dans « L’aile ou la cuisse » de Claude Zidi – industrielle et tentaculaire, productrice de charpie, aveugle ― brutale. C’est ainsi que survient l’envie de frapper dessus – rien d’une douce musique – rien non plus d’un écho spirituel. Ne transparait plus alors que l’appétit de la vengeance contre l’industrie agro-alimentaire, à laquelle, pourtant, Carlos Amorales est totalement étranger. Mais qu’importe le contre sens, l’image est la plus forte.