L’articulation de l’œuvre de Thomas Schütte est un mystère. D’une sculpture l’autre, en passant par ses installations et ses gravures, il est très compliqué d’établir un plan de bataille clair. L’artiste fait partie de cette génération de créateurs qui investissent systématiquement là où on ne les attend pas ; pas la peine d’essayer de prendre ce paramètre en compte pour l’anticiper, Thomas Schütte continue d’éviter nos envies.

La galerie Nelson-Freeman présente un ensemble de neuf gravures sur bois de très grandes dimensions (161,5 cm x 252,5 cm chacune). L’artiste y construit des espaces très symétriques, composés de plans vivement colorés, agencés les uns par rapport aux autres et qui ne se chevauchent jamais. D’une manière assez classique, à chacune des couleurs correspond une planche ; cependant, ici, l’artiste les a gravées dans des bois différents. Des veines serrées et ondulantes, aux grands mouvements courbes propres aux conifères, en passant par différents types d’agglomérés, l’artiste donne un motif propre à chacune des couleurs.

Pourtant cela ne suffit pas à insuffler de la vie dans ces paysages et ces intérieurs. Le ciel y est uniformément bleu, le même bleu que l’on retrouve dans toutes les gravures, le gazon uniformément vert, et ainsi de suite. Ces répétitions induisent un monde factice, un monde de playmobils ― mais sans l’ombre d’un playmobil pour le peupler ―, un monde fait de blocs agencés sans dégradés ni mortier. Un monde où il ne se passe rien d’autre que l’immobilité fossilisée de la veine des bois qui affleurent en surface telle des marques de coffrages sur un édifice de béton.

À l’étage de la galerie est accrochée une autre série de gravures. Ce sont principalement des représentations féminines. Ces images sont pleines de réminiscences, on y croise des choses de Maillol dans les rondeurs de ces dames, de Rodin par les morcellements structurants, mais Schütte n’hésite pas non plus à nanifier ses modèles ou à les géométriser. Le langage formel que développe l’artiste est en continuel dialogue avec la tradition du sculpteur dessinateur ; il semble danser avec les références, sans flagornerie mais avec acuité, tel un maître refaisant ses gammes pour le plaisir.