Quand elles sont réussies, les expositions collectives peuvent être vues comme des sociologies du milieu de l’art. La galerie Yvon Lambert ne s’y est pas trompée en nommant la sienne « Décadence ». Elle regroupe un subtil échantillon d’artistes qui va de ceux que l’on aime détester à ceux que l’on révère la main sur le cœur. L’ensemble est quasiment tout de noir et blanc, seul lien palpable entre les uns et les autres. Mais au-delà de cette coquetterie chromatique se tisse un rapport à l’œuvre particulier, une confession, une forme de fierté hybride, à la fois mélancolie et ironie. En tant que visiteur, on est impressionné par la hauteur sous plafond, mais les sourires sont à double fond, ils grimacent dès que nous leur tournons le dos.

La première œuvre qui nous fait face est le texte blanc et lumineux de Cerith Wyn Evans. Ce grand paragraphe de néon est disposé dans l’entrée de la galerie, comme un avertissement. On voudrait le lire, prendre acte, mais il est trop grand, illisible sur le mur blanc qui lui sert de support.

Suit Self Portrait of You + Me and Me + You + You + Me + Me + You (03), un groupe de photographies de Douglas Gardon. James Dean y apparait brûlé, mélangé à des lambeaux de ciel et de miroir. Il devient une réminiscence, une apparition qui insiste et nous regarde fermement.

On accède ensuite à un groupe de travaux de  Gardar Eide Einarsson. L’artiste y mêle peintures et sculptures, symboles triomphants et vaporeux ; un nuage argenté, des rayons noirs légèrement dégoulinants, un drapeau figurant une étoile et une devise, une structure métallique. Cette dernière, sorte d’échafaudage, est couchée sur le côté. Elle n’est accolée à aucune construction, elle ne mène à rien, elle n’est qu’un vestige galvanisé au milieu de tous les autres. Ce n’est même pas une ruine, c’est à peine une persistance, un emballage, mais plus que tout autre objet elle définit notre contemporanéité. L’espace suivant est entièrement rempli de néons, au milieu plusieurs rangées de boites en plexiglas contiennent des chaises dans le même matériau, tordues. Au fond, trois grands tableaux renferment des viscères recouverts de chaux blanche. Le tout est hâté par un bruit strident. A world of absolute relativity est une pièce de Loris Gréaud et est composée comme une armée de sirènes, un condensé des formes séduisantes partout à l’œuvre dans la création contemporaine. Une fois à l’intérieur de l’installation notre regard se perd en parallèles et systématismes.

L’exposition présente deux autres œuvres de Douglas Gordon, une grande projection de concert et une petite vidéo. Dans la première une silhouette renversée gigote sur une scène de concert, à ses pieds les spectateurs grouillent silencieusement. La seconde est en noir et blanc, elle montre en plan serré une main qui se secoue sans qu’aucun indice ne permette de comprendre ce qui l’anime. Elle batifole.

La dernière salle est occupée par un gros socle laqué de rouge – seul élément de couleurs dans l’exposition -, deux bustes de marbre, l’un ancien et patiné, l’autre récent et luisant, sont posés dessus. Le premier, Sélène, est de l’artiste français du XIXe siècle Jean-Léon Gérôme, l’autre est un autoportrait en Hélios de Francesco Vezzoli. Les deux bustes ne se font pas face, tout autour de la pièce quatre bancs permettent aux visiteurs de s’asseoir.