La petite photographie de Véronique Boudier, Luce, montre la bordure d’un champ, un coin de bout du monde, immuable mais frémissant. De hautes haies barrent l’horizon d’une diagonale sombre et froide. Les branches, lourdes et cristallisées par le froid, ne parviennent pas à contenir les rayons du soleil qui se déversent au travers et réchauffent l’herbe. Cette apparition – image d’Epinal de l’éternel éveil de la ruralité -, est le point de départ de l’exposition du même nom à la galerie Christophe Gaillard.

Une origine qui trouve son contrepoint et sa mesure dans une toute petite sculpture hybride de Tetsumi Kudo. Elle vient troubler le naturel de l’exposition, et souligne que l’aura de l’image de Véronique Boudier pourrait aussi bien être issue d’un jardinet de région parisienne que des extrêmes confins de la Loire Atlantique. Symbiose est une maigre fleur faite de morceaux incongrus, mi-végétale, mi-animale. Elle est recouverte d’une couche de moisissure duveteuse dont l’origine inquiète tant on ne parvient pas à déterminer si elle est le fait de l’artiste, ou du temps qui passe. Une frêle pousse qui pourrait avoir des siècles, tout en ayant germé en 2050.

À ces côtés, Annonciation #19, une photographie de Thibault Hazelzet, baigne de lumière un espace strictement ordonné réparti de manière classique, soit trois parties. Mais l’on n’y voit personne, ni Gabriel ni Marie. Pourtant, au centre de la photographie, se dresse une colonne verticale qui impose sa symétrie à l’image. L’ensemble flotte dans un fond blanc aux limites indistinctes, déconnectées l’une de l’autre, et à la fois unies par la permanence de l’image, du symbole.

Au sous-sol, une installation de Véronique Boudier vient clore la visite. Elle propose d’écouter des histoires. Près de soixante-dix personnes, réparties en trois casques, livrent pour elle un événement de leur vie. C’est face à la projection d’un feu de cheminée que l’on reçoit Cher être. Les histoires sont souvent étranges, le ton grave des voix nous font comprendre que les événements contés sont chargés d’émotion. Il ne s’y passe rien de grave, rien de terrifiant. Pourtant, assis dans le froid et l’humidité, les flammes jaunes et vertes ondulant devant nos genoux, l’étrangeté de cette compilation ne tarde pas à éveiller en nous des échos. Très vite on se remémore une de nos propres histoires, celle d’une apparition qui, à un moment de nos vies, est venue troubler la quiétude d’une journée pareille à toute autre. On finit par ne plus écouter. L’apparition des autres ayant été remplacée par l’étrange présence de nos souvenirs réveillés.